On Wed, 2004-03-10 at 23:27, SHEMA wrote:
>
> [..] Paul Kagame savait très bien ce qu'il disait au Général Dallaire
> (J'ai serré la main du Diable, p. 279) dans cette phrase: "Il (Paul
> Kagame) a ajouté que nous étions à la veille d'un cataclysme et
> qu'une fois enclenché, aucun moyen ne permettrait de le contrôler".
> Voyez-vous Monsieur Liotier, vous êtes le seul à croire que
> l'attentat contre Habyarimana n'a pas occasionné le génocide.
> Même Kagame y croyait dans sa planification de l'attentat.
Curieusement, la Fédération Internationale des Ligues des Droits de
l'Homme (Human right Watch) qui n'est pas à ma connaissance un collectif
d'auteurs de romans de hall de gare semble pourtant être du même avis
que moi. Prenons leur ouvrage "Aucun témoin ne doit survivre" paru en
1999 au éditions Karthala, un ouvrage il est vrai nettement mieux
documenté en profondeur et avec beaucoup plus de recul que celui de
Prunier. En page 218, en conclusion du chapitre traitant de l'assassinat
de Habyarimana on peut lire :
"Etablir la responsabilité de la mort de Habyarimana est un problème
important, mais il est différent de celui concernant les responsabilités
du génocides. Nous savons peu de chose sur les auteurs de l'assassinat
de Habyarimana. Nous en savons davantage sur ceux qui ont pu utiliser
cet assassinat comme prétexte pour déclencher des massacres préparés
depuis des mois".
C'est bien là la position que je défend : on ne sait pas qui a perpétré
l'assassinat, mais on sait très bien qui l'a exploité comme prétexte au
déclenchement du génocide.
> tout le monde voyait que le FPR était en train de préparer un
> attentat d'envergure. Et les sources que je suis parvenu à rassembler
> font remonter la préparation de l'attentat en début 1991 (je suis en
> train de boucler une biographie du président Habyarimana qui devrait
> sortir dans deux semaines).
Que le FPR ait souhaité la mort du leader du parti rival me semble bien
naturel dans le contexte de la guerre civile. Mais cela ne prouve pas
son éventuelle implication dans cet attentat là, d'autant que
Habyarimana venait de consentir à la mise en place du gouvernement de
transition à base élargie et que l'éliminer juste à ce moment là semble
avoir peu de sens pour le FPR.
> Je ne sais pas pourquoi l'on s'interdit de réfléchir dans cette
> histoire, pourquoi l'on s'interdit de remonter la chaîne des
> causalités, car cela permet de distribuer les responsabilités dans
> cette tragédie. Le général Dallaire doit avoir été parmi les hommes
> qui ont couvert l'attentat puisque la boîte noire est arrivée à l'ONU
> 3 mois après le 6 avril (c'est-à-dire après avoir été remplacé à la
> tête de la MINUAR). depuis tout le monde s'était demandé où était
> passé la boîte noire, même Paul Barril, le supergendarme de l'Elysée
> s'y était trompé. Maintenant l'on sait grâce à l'enquête du juge
> Bruguière que la boîte noire se trouve à l'ONU. C'est-à-dire donc
> que Kofi Annan lui-même était dans le coup. Pourquoi n'a-t-il pas
> lâché cette boîte noire alors que tout le monde disait que c'étaient
> les extrémistes hutu qui avaient tué le Président, y compris Gérard
> Prunier. Qu'est-ce que Kofi Annan fait dans cette histoire??? Un
> "gouvernement étranger" est également dans le coup, il est fort à
> parier que c'est les Etats-Unis qui forment les terroristes et les
> utilisent, avant de les jeter comme du papier "kleenex".
Vous avancez plusieurs hypothèses audacieuses pour construire cette
magnifique théorie de conspiration. J'espère que votre ouvrage fournira
de quoi les étayer.
> Nous n'étions pas dans une période de paix et les esprits s'étaient
> échauffés en début 1994, de sorte que j'ai dû prendre dare-dare
> l'avion du retour en France. J'ai de mes propres yeux vus le
> désespoir d'une population, dont plus d'un million s'entassaient aux
> portes de Kigali pour avoir été refoulés par le FPR alors que un
> nombre à peu près égal avait été massacré. Les milices recrutaient
> dans cette jeunesse désoeuvrée et inquiète de ce qui pouvait arriver
> si le FPR devait prendre le pouvoir. Tout s'est alors enchaîné dans
> une logique infernale avec l'attentat contre le président
> Habyarimana.
Je vous rejoint sur ces points : la catastrophe finale n'a pas eu lieu
spontanément dans un vide historique, ce n'est que le résultat d'un
cycle de violences dont les racines sont profondes. L'exemple le plus
frappant précédant juste les évènements de 1994 c'est l'offensive du FPR
de février 1993 dont vous semblez décrire les conséquences : elle n'a
sûrement rien fait pour arranger la situation dans le pays, bien au
contraire elle a bien contribué à enflammer les esprits. Le FPR a
participé à l'engrenage des violences et personne ne le prétends
innocent. Mais il convient néanmoins de distinguer les faits : le pays
vivait une situation de guerre civile, avec tout ce que cela implique de
compromissions pour toutes les parties à ce genre d'horreur, mais cela
n'absout pas les organisations extrémistes Hutu de leur responsabilité
irréfutable dans le génocide. Le FPR n'est certes pas une victime
innocente, mais les centaines de milliers d'innocents sont bien tombés
sous les coups de bourreaux avec lesquels le FPR n'a jamais rien eu à
voir.
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