Des morts ivoiriens sous le feu de Licorne
(Liberation 26/11/2004)
La «grande muette» se fait discrète sur le sujet, mais
cela ne fait guère de doute : début novembre, en
Côte-d'Ivoire, des militaires français ont tiré et tué
des partisans du président Gbagbo. Le colonel Gérard
Dubois, porte-parole de l'état-major des armées, le
reconnaît à mots couverts : «Nous n'avons jamais dit
qu'il y avait des morts... ni qu'il n'y en avait pas.»
Oui, mais combien ? Les chiffres restent sujets à
caution. Les autorités ivoiriennes avancent un bilan
de 63 morts et 1 300 blessés, tous imputés aux soldats
français. De son côté, le Comité international de la
Croix-Rouge (CICR) parle de 2 979 personnes «soignées
pour des blessures et divers maux» dans les hôpitaux
d'Abidjan. Sans se prononcer sur le nombre de morts :
menacées, les équipes du CICR n'ont pu enquêter.
L'armée française indique qu'il lui est impossible de
compter les morts «au milieu d'une foule
hostile».(...)
«Tirs de destruction». Une chose est sûre : celle-ci a
agi sans états d'âme. Dans l'après-midi du samedi 6
novembre, après le bombardement du camp de Bouaké, une
colonne de véhicules descend d'urgence de Duékoué vers
Abidjan, où les ressortissants français sont
sérieusement menacés par les «patriotes». «Elle a été
bloquée de manière extrêmement agressive, indique un
haut responsable militaire. Nous avons procédé à des
tirs de destruction de check point et il est possible
qu'il y ait eu des morts et des blessés.». En clair,
la route a été ouverte à coups de canon.
Un reportage exclusif que Canal + diffusera mardi (1)
témoigne aussi de la violence des moyens employés à
Abidjan. Durant plusieurs heures, dans la nuit du 6 au
7 novembre, des hélicoptères de combat ont ouvert le
feu au canon de 20 mm sur le pont Charles-de-Gaulle
pour empêcher des milliers de manifestants de le
traverser. Sinon, «la base militaire du 43e Bima et
l'aéroport auraient pu être submergés», argue un
officier. S'ils ont neutralisé les rares voitures qui
se risquaient sur l'un des deux ponts qui enjambent la
lagune, les hélicoptères ne semblent pas viser les
manifestants. Mais le reportage de Canal + montre un
individu transformé en torche humaine après un tir.
Lors des exfiltrations de Français dans le quartier de
Cocody, où réside le président Gbagbo, les
hélicoptères ont essuyé des tirs. Et riposté sans
hésiter. «Nous avions à l'esprit l'épisode de
l'hélicoptère américain abattu à Mogadiscio en 1993»,
dit un officier. Licorne a notamment détruit par un
tir de missile antichar Hot un canon antiaérien de 20
mm dans l'enceinte du palais présidentiel. Au cours de
ces affrontements, des soldats français ont été
«légèrement blessés», reconnaît l'état-major.
. Les images diffusées par la RTI (télévision
ivoirienne), aux ordres du pouvoir, montrent leur
face-à-face tendu avec une foule excitée de plusieurs
milliers de personnes. Quand, en milieu d'après-midi,
les «patriotes» débordent le mince cordon dressé par
les forces ivoiriennes, les soldats français tirent de
longues rafales.
Paris assure que des coups de feu sont d'abord partis
de la foule. Pourtant, sur ces images, les soldats
français tirent à découvert, sans affolement. «Sinon,
ils auraient été rapidement encerclés», rétorque un
officier. Des tirs de sommation, en l'air, comme
l'affirme Licorne ? Ou sur les «patriotes aux mains
nues», comme le dit le régime ivoirien ? Sans donner
de bilan précis, la RTI a diffusé des images d'un
individu dont le crâne a explosé, d'un autre dont la
main a été arrachée, d'une jeune femme touchée par
balle dans le dos... «Si nous avions tiré sur la
foule, nous aurions fait un véritable carnage», répond
un officier français.
Pour sa part, l'ancien ministre de la Défense (PS)
Paul Quilès demande la création d'une commission
d'enquête sur des événements qui ont marqué la rupture
entre Paris et Gbagbo.
Des images de télévision montrent des soldats français
tirant sur les partisans de Gbagbo, début novembre.
Par Thomas HOFNUNG et Jean-Dominique MERCHET
vendredi 26 novembre 2004
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"A Black Belt is a White Belt who never quit"
Aikido.
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