Les élections congolaises du premier trimestre 2002 ont pris la forme d?un
quasi-plébiscite pour Denis Sassou Nguesso. En janvier, les Congolais
approuvèrent, à une majorité écrasante, la nouvelle Constitution. Le 10 mars,
les électeurs le portèrent, avec plus de 89 % des voix, à la fonction
suprême. Ces consultations ont été présentées, du côté du pouvoir et par
certains observateurs, comme l?illustration de la réussite du processus de
paix entamé depuis la fin du conflit armé de 1997 (mai à octobre). Or, les
faits indiquent, plutôt, l?inverse : une reprise des affrontements.
Trois semaines seulement après la victoire électorale de leur président, et
alors même que les scrutins se poursuivaient (législatives, puis municipales
et régionales), les Congolais ont vécu une nouvelle série de conflits armés,
en trois épisodes majeurs.
? La première séquence débute dans la région du Pool pendant l?absence du
président Sassou Nguesso. Ce dernier avait quitté Brazzaville, le 25 mars,
pour prendre part au sommet économique sur le "Nouveau partenariat pour le
développement de l?Afrique" (Nepad), à Abuja (Nigeria). Il ne devait revenir
que le 7 avril. Durant son absence, le 2 avril 2002, un train de voyageurs,
venant de Pointe-Noire et se dirigeant vers la capitale, a été attaqué dans
le district de Mindouli (dans la région du Pool). Le bilan officiel fait état
de deux morts et de douze blessés, dont cinq dans un état grave. Des conflits
armés redémarrent dans cette région. Les rebelles prennent en otage quelques
personnalités, dont un général des Forces Armées Congolaises (FAC) Casimir
Bouissa-Matoko, alias Casis, et un spiritain, le père Jean Guth. Casis est un
proche du président. À partir du 5 avril, des habitants du Pool commencent un
exode vers Brazzaville.
Les gouvernants et les rebelles s?attribuent respectivement la responsabilité
de ces attaques. Dès le 3 avril, le Haut commandement des FAC publie une
déclaration, dans laquelle il dévoile que, depuis le 29 mars, des
miliciens "Ninja" proches de Frédéric Binsangou, alias le révérend Pasteur
Ntoumi, attaquent les positions militaires dans la région du Pool. Il tente
de rassurer la population en affirmant que l?armée reprend le contrôle de ce
territoire en bombardant les positions ennemies à partir des hélicoptères.
L?utilisation du terme Ninja, pour désigner ces rebelles, tient à la fois de
l'amalgame et de la propagande, car les miliciens mobilisés autour de Ntoumi,
se reconnaissent, eux-mêmes, comme les Nsiloulou.
Comme toutes les milices congolaises, celles de l'opposition à Sassou Nguesso
sont organisées en plusieurs "écuries" dont chacune représente une unité de
combat autonome regroupée autour d?un chef. Le mouvement Nsiloulou était
devenu célèbre pendant la résistance aux opérations de nettoyage et de
blocages de la région du Pool en 1998-1999. Certains miliciens originaires du
Pool rejoignirent alors le pasteur Ntoumi, qui dirigeait une secte néo-
pentecôtiste. Celui-ci négocia la fin des affrontements en tant que président
du Conseil National de la Résistance (CNR). Des rumeurs le présentaient alors
comme une ?taupe? de certaines factions au pouvoir.
L?opposition, quant à elle, dénonce une bavure des FAC. Selon cette version,
des militaires des FAC se lançaient dans des man?uvres de provocation depuis
un certain temps déjà temps. À la fin du mois de mars, l?armée avait renforcé
sa présence à Kindamba, ce qui avait attiré l?attention des Nsiloulou. Le 1er
avril, voulant s?enquérir de la situation, Ntoumi avait envoyé des émissaires
à Kindamba. Les militaires les auraient accueillis par des coups de feu,
tuant trois d'entre eux. Pour riposter, le 2 avril, les Nsiloulou attaquent
des militaires dans certaines localités et les mettent en fuite. Certains,
parmi eux, dans leur repli, cherchent, en tirant en l?air, à arrêter un train
pour rentrer à Brazzaville. Or depuis 1999, un contingent militaire convoie
le train pour assurer sa sécurité. Ces derniers, croyant à une attaque Ninja,
ripostent.
? La seconde séquence commence le 9 avril à Brazzaville et entre en résonance
avec la première. Ces événements débutent, quelques jours après le retour du
président, à la suite du débordement d?une opération de police destinée à
retrouver des miliciens Ninja appartenant à différentes écuries (dissidentes
vis-à-vis de Ntoumi), et dispersés dans les quartiers sud de Brazzaville.
Leur présence dans la ville entrait dans le cadre des négociations de paix
supervisées par deux institutions officielles : le Comité de suivi de la
Convention pour la paix et la reconstruction du Congo dirigé par Marius
Mouambenga et le Haut-commissariat pour la réinsertion des ex-combattants
dirigé par le colonel Michel Ngakala.
Or, avec le retour de la crise armée dans le Pool, les membres de l?élite
politique de tous bords, craignant un débordement, voulaient caserner ces
miliciens dans différents camps. En même temps, des rumeurs circulaient selon
lesquelles les autorités arrêtaient des Ninjas dans les quartiers Sud de la
capitale, provoquant ainsi la méfiance et la peur dans ces milieux. À ce
moment-là, Willy Matsanga parvint à rassembler, chez lui à Makélékélé, un des
quartiers sud, près de sept cents miliciens, en prétendant que ?
l?encasernement ? était un piège pour les éliminer.
Willy Matsanga fait partie des miliciens les plus célèbres qui combattent
pour le plus offrant. Originaire du Pool, il dirigea d'abord une écurie de
Ninja. Dans ce cadre, il était apparu, de 1993 à 1996, comme l?un des hommes
de confiance de Bernard Kolélas (alors maire de Brazzaville). Mais il se
désolidarisa de ce dernier, lorsque celui-ci fut nommé, en 1997, au poste de
premier ministre du président Pascal Lissouba. Dès lors, Willy Matsanga et
son écurie de Ninja rejoignirent les milices "Cobra" et combattirent aux
côtés de Sassou-Nguesso. La rumeur prétend que le président actuel lui doit
sa victoire. À la fin des affrontements, Matsanga se retrouva conseiller du
ministre de l?Intérieur. Mais, à la surprise générale, durant la campagne
présidentielle de 2002, il rallia le candidat de l?opposition, André Milongo,
pour assurer sa sécurité. Les Congolais interprétèrent cette volte-face comme
un coup politique de Sassou Nguesso. Cependant, Willy Matsanga tenait des
déclarations anti-gouvernementales laissant sous-entendre qu?il pourrait
tenter un coup de force contre le pouvoir.
Pour désamorcer toutes les tensions contenues dans la reconstitution de
l'alliance entre Willy Matsanga et certains Ninjas, une délégation du Comité
de suivi et du Haut-commissariat de la réinsertion des ex-miliciens se
rendit, le 9 avril, à son domicile. Les Ninjas imposèrent le Centre sportif
de Makélékélé comme étant le lieu où ils souhaitaient être encasernés et
promirent de s?y rendre, en fin d?après-midi. Cependant, ils ne respectèrent
pas leur parole. Certains s'évanouirent dans la nature et d?autres se
dirigèrent, semble-t-il, dans le Pool. Les gouvernants affirment qu?ils y
rejoignirent le pasteur Ntoumi. Pour éviter d?être débordés par des ennemis
difficilement identifiables, les militaires décident donc de boucler les
quartiers Sud de Brazzaville, le 9 juin au soir, et utilisent des armes
lourdes et légères. Ces actions provoquent la panique au sein de la
population dont une grande partie se déplace vers les quartiers Nord.
Certains membres des forces de l?ordre profitent de la situation pour piller.
Dans la nuit, les autorités lancent des appels aux habitants pour qu'ils
regagnent leurs quartiers.
? La troisième séquence se déroule deux mois plus tard. Tout comme au début
du mois d?avril, le président de la République Sassou-Nguesso se trouve alors
hors du pays (il participe au sommet de la FAO à Rome). Le jour de son
retour, le 14 juin, coïncide avec une attaque ?meurtrière? du camp militaire
de la Base aérienne de Brazzaville. Selon la version officielle, les
assaillants appartiendraient à une écurie Ninja, ?Moufoutra?, dirigée par
Laskipick (considéré comme l'un des lieutenants les plus efficaces de Ntoumi
pendant les conflits de 1998-1999, Laskipick s'était ensuite séparé de lui
pour former sa propre écurie). Leur attaque visait la destruction des deux
hélicoptères militaires que les FAC utilisaient pour pilonner les positions
des Nsiloulou dans le Pool. Cette interprétation officielle semble montrer
qu?un lien s?est réinstauré entre Laskipick et ses anciens alliés.
Des explications de divers ordres (social, religieux, économique) peuvent
être avancées pour comprendre ces conflits mais, pour commencer, une analyse
politique s'impose. Dans ce sens, il convient de revenir sur trois faits : le
contexte de leur déroulement, la multiplication des écuries et l?échec des
politiques de démobilisation des miliciens.
Le contexte est celui de la préparation des législatives. Dans cette
perspective, les enjeux électoraux se transforment. En effet, avec les
consultations de janvier et mars, les électeurs avaient plutôt exprimé, par
leur choix, à la fois le refus de la guerre et leur sentiment d?impuissance.
À la veille de ces consultations une grande partie de Congolais
affirmait : ?Sassou, qui a gagné la guerre de 1997, est le seul à avoir un
crédit à l?extérieur, des armes et, même en cas de défaite, il ne voudra pas
quitter la présidence?. Pour une très grande partie de l?électorat, il valait
donc mieux lui laisser la gestion du pouvoir politique pendant les cinq
années à venir et s?organiser pour la suite. Seule l?usure, les dissensions
internes à la classe politique ou la maladie pourrait l?emporter. Ainsi les
deux premières consultations électorales, le référendum et les
présidentielles, cristallisèrent cet état d?esprit en prenant la forme de
plébiscite.
Ayant gagné par les armes, les nouvelles autorités privilégiaient plutôt une
solution militaire. Ce qui correspondait à la réalité du pouvoir lui-même, où
ceux qui avaient mobilisé le plus de combattants "Cobra", en 1997,
contrôlaient à la fois le parti, le PCT, et l?armée, tout en entretenant,
parfois, des liens avec les écuries de l?opposition. L?alliance la plus
puissante porte le nom des Katangais et revendique une représentation
territoriale : la région de la Likouala. Le secrétaire du PCT, Ambroise
Noumazalaye, est leur leader. La situation, qui associe les ?guerriers? et
les ?politiques? généra des tensions entre le président et ses alliés.
Sassou-Nguesso apparaissait, aux yeux de ces derniers, comme un usurpateur de
leur victoire. Lui voulait, par contre, trouver un moyen pour réduire leur
influence et ce, surtout, avec les élections législatives. Celles-ci, en
changeant les modalités de gouvernement, menaçaient, précisément, la position
des leaders des écuries "Cobra". Ces leaders s?organisèrent pour défendre
leurs acquis. Ils s?appuyèrent, pour cela, sur leurs alliés, mêmes ceux de
l?opposition. Ainsi certains doutent que Laskipick ait pu préparer une
attaque contre la base aérienne avec sa seule écurie et évoquent des
complicités dans les milieux militaires des FAC.
Le rappel de ces tensions politico-militaires peut permettre de comprendre un
trait structurel des conflits congolais. Ils se produisent pendant l?absence
du président et ne se résolvent pas sous la forme d?un coup d?Etat. Ils ont
plutôt la fonction de résoudre, dans la violence, des luttes d'influence
internes. Ces affrontements montrent aussi qu?il n?y a pas un mouvement
homogène "Ninja". En effet, nous avons vu que le pasteur Ntoumi ne contrôle
pas toutes les écuries. Des miliciens reconnaissent Laskipick, Willy ou
d?autres, comme leaders. En outre, Ntoumi n?apparaît pas comme le plus
virulent car il est le plus institutionnalisé dans sa position d?opposant.
Certains témoignages révèlent que, peu avant les affrontements du 14 juin,
Ntoumi manifestait l?intention de sortir de sa cachette avec les otages.
Cette initiative était sur le point d?aboutir. L?échec de ces négociations
peut être lié à la stratégie des écuries du pouvoir, qui préfèrent une
situation d'affrontement militaire pour pouvoir continuer à renforcer leur
position.
Il faut, enfin, noter l?échec de la politique de démobilisation des
miliciens. Une écurie peut se reproduire après quelques années d?inactivité ;
tel fut le cas de ?Moufoutra?. En outre, d?un point de vue plus global, des
alliances entre différentes écuries opposées peuvent se renouer. Ces conflits
illustrent bien comment Willy Matsanga redevient un réunificateur des Ninjas.
Cet échec de la démobilisation risque d'hypothéquer l'avenir du pays : le
danger d'une reprise des conflits, à tout moment, reste en effet très
probable. Le fait d'avoir privilégié une solution purement militaire, plutôt
qu'une solution politique d'ensemble, risque désormais de fragiliser Sassou
Ngesso, y compris à l'intérieur de son propre clan.
Avec la participation de Nord-Sud Export
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