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Comprendre la crise ivoirienne: trop de flou

To: John Tra <jtra00@yahoo.com>, afrique@univ-lyon1.fr
Subject: Comprendre la crise ivoirienne: trop de flou
From: John Tra <jtra00@yahoo.com>
Date: Mon, 30 Sep 2002 08:49:49 -0700 (PDT)
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  Trois clés pour comprendre la crise actuelle
(Liberation 30/09/2002)


De nombreuses zones d'ombre continuent d'entourer les troubles en Côte-d'Ivoire. Tentative d'éclaircissement.

1 Simple mutinerie ou coup d'Etat téléguidé?

La thèse de la mutinerie de soldats démobilisés de force demandant leur réintégration dans l'armée ne tient pas. De simples mutins auraient-ils attaqué simultanément les trois premières villes du pays, Abidjan, Bouaké et Korhogo ? Auraient-ils eu l'audace d'attaquer en même temps, jeudi 19 septembre à l'aube, les domiciles des ministres de la Défense et de l'Intérieur ainsi que le camp de la gendarmerie d'Abgan, le corps le plus fiable et dévoué au régime, et la résidence du chef d'état-major, Mathias Doué ? Leur armement, neuf, ne provient pas, selon des sources concordantes, des arsenaux ivoiriens, en pitoyable état. Leur discipline et leur comportement, très correct à l'égard des civils de Bouaké, où, contrairement à l'habitude, aucun pillage n'a été commis, ne plaident pas pour une mutinerie classique. Les insurgés semblent n'avoir aucun problème d'argent (ils payent cash) ni de matériel (ils sont équipés de téléphones satellitaires flambant neufs). Il semble clair qu'il existe un donneur d'ordres qui coordonne le mouvement et un financier, ivoirien ou étranger, mais il paraît prématuré de le désigner, comme le fait le pouvoir ivoirien, en parlant du Burkina Faso de Blaise Compaoré.

2 Qui sont les rebelles?

Depuis sa «conférence de presse» de jeudi, l'identité du chef des rebelles à Bouaké est connue : il s'agit de l'adjudant Tuo Fozié, ancien commandant d'un bataillon de blindés à Abidjan parti se réfugier à l'étranger en octobre 2000, après la chute du général Gueï. «Nous sommes des militaires, ce n'est pas un mouvement à caractère politique», a-t-il indiqué, précisant que des militaires ivoiriens en exil, dont il fait partie, sont à l'origine du soulèvement.

Le parcours politique de Fozié est difficile à décrypter, mais il semble appartenir à l'armée ivoirienne de la «vieille école», celle de Robert Gueï et du chef d'état-major Mathias Doué: après avoir participé au coup d'Etat de Gueï en décembre 1999, Fozié s'est brouillé avec lui. Recherché depuis la tentative de coup d'Etat des 7 et 8 janvier 2001 par la justice militaire ivoirienne, il avait disparu à l'étranger. Au Burkina, accuse l'entourage du président Gbagbo, évoquant avec insistance l'implication d'IB, un proche de Ouattara et de Blaise Compaoré. Tuo Fozié n'est pas le seul à avoir suivi ce parcours : plusieurs militaires recrutés par Gueï pour assurer sa garde personnelle avaient fui le pays après sa défaite à la présidentielle d'octobre 2000 face à l'actuel chef de l'Etat, Gbagbo.

Des témoins, ivoiriens et occidentaux, assurent avoir entendu des rebelles parler anglais et portant des scarifications, concluant qu'il s'agissait de mercenaires libériens. Cette information - qui reste à vérifier - prouverait, selon les proches du pouvoir, l'implication de Gueï, longtemps proche du Liberia de Charles Taylor, et du Burkinabé Compaoré, qui a soutenu Taylor tout au long de sa conquête du Liberia, mais dont il s'est distancié ces derniers mois. Reste que, jusqu'à preuve du contraire, la plupart des insurgés sont ivoiriens.

3 Quelles sont leurs revendications?

Pour l'instant, Tuo Fozié et les rares rebelles interrogés (ils limitent au maximum leurs contacts avec la presse) n'ont évoqué aucune revendication politique : «Il n'y a aucun chef politique derrière nous à ma connaissance. Robert Gueï ou Alassane Ouattara ne sont pas derrière cette histoire», a expliqué Tuo Fozié. Le mouvement, explique-t-il, vise à réintégrer 750 soldats démobilisés de force, ceux justement recrutés par Gueï. «Des officiers supérieurs nous ont aidés pour la mise en place de notre stratégie et la mise en oeuvre des actions», a toutefois déclaré un porte-parole des mutins de Bouaké, le caporal Alexis Kouadio, relançant l'hypothèse d'un coup intérieur.

Du côté du président Gbagbo, on accuse une coalition hétéroclite rassemblant l'ex-chef de la junte, Gueï, le principal opposant, Ouattara, et le président burkinabé, Compaoré. Gueï n'avait jamais digéré sa défaite face à Gbagbo et nombre de ses anciens proches semblent impliqués. Mais, comme l'indiquait Libération dès le 23 septembre, Gueï semble avoir été «exécuté» avec toute sa famille et son aide de camp dès les premières heures du soulèvement : il a probablement servi de bouc émissaire et ses «ressources» ont été utilisées par quelqu'un d'autre. Quant à Ouattara, aujourd'hui accusé par le pouvoir d'être le véritable bénéficiaire du «coup», pourquoi l'avoir escorté le vendredi 20 septembre à l'aube de l'ambassade d'Allemagne puis à l'ambassade de France ? Pourquoi le ministre de la Défense, Moïse Lida Kouassi, dont la famille, attaquée par les rebelles jeudi, est, elle aussi, réfugiée à l'ambassade de France, a-t-il délivré un permis de sortir du territoire à Ouattara l'après-midi même ?

Où est passé le populaire et respecté chef d'état-major Mathias Doué, invisible depuis le début des troubles ? «Le général Doué est bel et bien vivant, a assuré hier le ministre de la Défense. Nous l'avons rencontré tout à l'heure quand il est venu faire le point (...). Il joue parfaitement son rôle. Il n'y a pas d'ambiguïté.» Reste que les Ivoiriens n'ont vu de lui que des images d'archives à la télé. Pourquoi, enfin, le ministre de la Défense est-il le seul responsable à s'exprimer régulièrement à la télévision ? Pourquoi sa femme reste-t-elle à l'ambassade de France alors que la sécurité est officiellement rétablie à Abidjan ? Autant de questions troublantes qui alimentent les rumeurs d'un règlement de comptes au sommet de l'Etat.

Par Christophe AYAD



"Criticism, like rain, should be gentle enough to nourish a man's
growth
without destroying his roots."

- Frank A. Clark



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