Puisque l'histoire s'ecrit, pretons attention, et
comme le disait Birago Diop dans son poeme "Souffle"
Ecoute plus souvent
Les Choses que les Etres
La Voix du Feu s?entend,
Entends la Voix de l?Eau.
Ecoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots :
C?est le Souffle des ancêtres.
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis....
http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/imprimersans.php3?id_article=49
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« Le premier devoir d'un révolutionnaire est de rester
en vie. »
(Ernesto « Che » Guevara).
Les raisons de la crise ivoirienne sont à chercher
bien au-delà d'une
inimitié personnelle entre Laurent Gbagbo et Jacques
Chirac. Le
véritable enjeu de la guerre coloniale française en
Côte d'Ivoire est
la redéfinition des rapports entre la France et
l'Afrique. Le
processus de décolonisation politique et économique de
son pays
engagé par Laurent Gbagbo met en danger la domination
de la France
sur l'ensemble de son pré carré africain. « En fait,
la présence
française répond d'abord à des impératifs
géostratégiques. Si la
France se désengage de la Côte d'Ivoire, qui draine
presque la moitié
de la masse monétaire en Afrique de l'Ouest, elle peut
dire adieu à
son rôle de « gendarme de l'Afrique ». Cette analyse
du journaliste
de VSD Antoine Dreyfus a le mérite d'éclairer sur les
motifs profonds
de la violence et de la virulence française dans le
traitement du «
problème » ivoirien, tant au plan médiatique que
militaire et
politique.
Depuis 1945, la classe dirigeante française, qui a
toujours voulu
pour la France un statut de puissance mondiale qui
justifie son siège
de membre permanent du Conseil de Sécurité obtenu in
extremis à la
fin de la seconde guerre mondiale, ne s'est pas
résignée à ce que son
pays ne soit "qu'une" puissance européenne parmi
d'autres. Pour être
puissance mondiale, il faut que la France puisse peser
sur les
événements hors de l'Europe. Le seul endroit au monde
où cela reste
possible est l'Afrique noire francophone, seule zone
d'influence qui
lui est reconnue par les autres membres permanents du
Conseil de
Sécurité de l'ONU, qui marchandent entre eux à partir
de leurs zones
d'influence respectives. « La France est grande
lorsqu'elle monte sur
les épaules de l'Afrique » disait au Figaro
l'ambassadeur américain
en Angola il y a quelques années. « La perte de
l'influence
française, si elle se confirme, sera lourde de
conséquences pour
Paris. Pas tant au niveau économique, car les intérêts
français en
Côte d'Ivoire se sont étiolés avec le temps. Mais
parce que la Côte
d'Ivoire aide à maintenir le rang de la France dans le
monde, elle
est le pays phare de l'influence de Paris en Afrique
francophone »
confirment les journalistes du Figaro Isabelle
Lasserre et Pierre
Prier.
Le désarroi du maître face à des états vassalisés qui
s'émancipent
La France a donc besoin d'une cour d'états sycophantes
en Afrique
noire francophone qui puisse applaudir et soutenir
toutes ses
initiatives internationales. Depuis 1960, date des
indépendances
formelles, la politique française en Afrique consiste
à bâtir et
consolider un ordre néo-colonial où, pour assurer la
pérennité de sa
zone d'influence, la France n'a cessé de tisser un
maillage serré
d'institutions et de mécanismes destinés à arrimer les
états
africains à ses intérêts. Cette toile d'araignée va
des accords de
défense, crédibilisés par un réseau de bases
militaires en Afrique, à
la zone franc ? entité étonnante aujourd'hui avec la
disparition du
franc ?, en passant par des organisations
sous-régionales comme la
Francophonie. Le tout étant soigneusement verrouillé
par le veto
français dans les organisations financières de Bretton
Woods, qui lui
permet de couper l'accès aux financements
internationaux à tout pays
récalcitrant. Cet édifice, qui fonctionnait sans heurt
tant que les
Africains l'acceptaient avec leur bonhomie habituelle,
devient
précaire dès lors que les nouvelles générations
d'Africains ne
trouvent plus leur compte dans un système où
l'équilibre des
avantages et des inconvénients ne leur est plus
nécessairement
favorable. « L'exception française en Côte d'Ivoire
n'existe plus, le
rubicond a été franchi et la vitrine d'une
décolonisation réussie a
volé en éclats » d'après Antoine Glaser, directeur de
la rédaction de
la Lettre du Continent.
Une situation dans laquelle le principal pays du pré
carré réussirait
à s'affranchir de la tutelle néo-coloniale est donc
inacceptable pour
Paris car, de proche en proche, cela signifierait la
fin de sa zone
d'influence et le reflux de la France vers un statut
de puissance
européenne ? situation que les élites françaises
s'acharnent à éviter
depuis un demi-siècle ? et peut-être, en bout de
chaîne, la fin du
statut de membre permanent du Conseil de Sécurité. «
La Côte
d'Ivoire, c'est ce qui permet à la France d'être une
grande puissance
moyenne, de justifier son siège au Conseil de Sécurité
des Nations
Unies. C'est sa visibilité diplomatique » selon Albert
Bourgi,
professeur de relations internationales à l'université
de Reims.
Laurent Gbagbo est la personnification de la menace.
C'est la raison
pour laquelle Paris a décidé d'éliminer le président
ivoirien, trop
désireux de s'affranchir. Le toujours très bien
informé Canard
Enchaîné, dans son édition du 17 novembre 2004, publie
un document «
confidentiel défense » qui officialise l'arrivée en
septembre 2002 de
trois mercenaires tricolores à Abidjan et leur
exfiltration hâtive
par la DGSE (services secrets français). « Au nom du
gouvernement
français, ils proposent leurs bons offices pour la
mise en place d'un
service de sécurité et de renseignement. Leur démarche
a lieu moins
de dix jours avant le 19 septembre, date d'un nouveau
coup d'Etat
avorté visant à renverser Gbagbo. Ce putsch a fait 300
morts à
Abidjan [?] ».
Ceci explique également pourquoi les autorités
françaises sont prêtes
à engloutir des dizaines de milliards d'euro dans
l'opération Licorne
pour plusieurs années. Même si, comme l'exprime un
officier français
dans le Figaro du 22 novembre 2004, «il n'y a aucune
raison que les
choses s'arrangent. Je ne vois pas comment Licorne
pourrait rester
dans ces conditions ».
Eternel négationnisme
Nonobstant le révisionnisme imprescriptible dont font
preuve les
hommes politiques et les média français, il est
impossible d'ignorer
la participation de la France dans les conflits
africains. La classe
politique hexagonale, quelque soit sa couleur, a
toujours fait preuve
d'un incommensurable talent pour financer des coups
d'Etat, soutenir
des génocidaires, réprimer violemment toute velléité
de contestation
dans son pré carré. Est-il besoin de revenir sur la
guerre du Biafra,
avec son million de morts en entre 1967 et 1970,
lorsque la France,
pour élargir sa zone d'influence, soutenait les
séparatistes ? Au
Rwanda, l'engagement total de la France aux côtés de
l'état-pion a
conduit à l'extermination systématique des Tutsis.
Entre 1990 et
1994, la France a livré régulièrement des armes, des
munitions et son
soutien logistique aux Forces armées rwandaises (FAR),
alors que le
gouvernement du président Habyarimana procédait aux
premières
épurations ethniques. Son soutien a été également
financier et
diplomatique. Jusqu'au 25 novembre 1994, la France a
bloqué toute
aide financière de la Banque Mondiale et de l'Union
Européenne au
nouveau gouvernement de Kigali. Pendant l'ethnocide,
la France a
empêché la mise en accusation des auteurs du génocide
lors de la
Commission annuelle des Droits de l'Homme des Nations
Unies et
permis, dans le cadre de l'opération Turquoise
commandée par le
général Poncet, actuellement commandant de la force
Licorne en Côte
d'Ivoire, l'exfiltration au Zaïre des dignitaires du
régime
génocidaire. « Des soldats de notre pays ont formé,
sur ordre, les
tueurs du troisième génocide du XXe siècle. Nous leur
avons donné des
armes, une doctrine et un blanc-seing » accuse le
journaliste
français du Figaro, Patrick de Saint-Exupéry, dans son
livre «
L'inavouable : la France au Rwanda ». La répression
meurtrière de la
rébellion upéciste, les purges sanglantes et les
massacres perpétrés
par les Français en mai 1955 ont fait plus de 100 000
victimes
civiles camerounaises. La France a financé
parallèlement le camp
gouvernemental et la rébellion en Angola. Faut-il
revenir sur
l'implication de l'Hexagone dans les coups fourrés et
les conflits
aux Comores, au Bénin, au Soudan, au Tchad, au
Liberia, en
Centrafrique, en Guinée-Bissau, dans les deux Congo ?
Et le Cameroun dans tout ça ?
Quid du Cameroun ? Ce pays est la locomotive
économique de l'Afrique
Centrale. Qu'ils apprécient ou non la politique ou le
bilan de leur
chef de l'Etat, il n'en demeure pas moins que c'est
très certainement
grâce à son « manque de lisibilité » décrié dans les
chancelleries
occidentales que les Camerounais vivent en paix. Paul
Biya est
imprévisible. Il est souvent là où l'on ne l'attend
pas. Son pied de
nez à la France lors de la crise irakienne, lorsqu'il
se rend à
Washington pour soutenir ouvertement les Etats Unis,
est l'un de ces
actes impondérables tant médits en Europe.
Stratège, le président Biya a diversifié la
distribution des joyaux
camerounais. Il a ainsi évité une dépendance
économique exclusive à
la France, même si l'assujettissement demeure
incontestable. Une
licence de téléphonie mobile aux Sud-africains, le
cobalt aux
Américains, la bauxite à un consortium
danois/sud-africain, le
terminal à conteneurs à un consortium dont font partie
plusieurs
groupes français comme Bolloré, Socomar, Getma, mais
dirigé par le
géant danois Maersk, l'électricité aux Américains, les
plaques
minéralogiques aux Allemands?
En plus de la personnalité de M. Biya, la relative «
exception
camerounaise » peut s'expliquer en partie par le
contexte historique.
Ce pays n'a en effet jamais été une colonie française
au sens
juridique du terme, mais un protectorat et un
territoire sous mandat
de la Société des Nations (SDN), ancêtre de
l'Organisation des
Nations Unies (ONU). Même si cela n'a pas changé grand
chose au
quotidien de l'indigène camerounais par rapport à
l'autochtone du
Gabon ou du Congo-Brazzaville, cela a quand même créé
une certaine
une retenue.
Solution endogène
L'Afrique ne doit attendre aucune compassion de la
part de ceux qui
l'exploitent. La solution ne peut venir que des
Africains eux-mêmes
et de leurs gouvernants. Elle se dessine à l'horizon,
les Ivoiriens
en prennent le chemin. La rupture avec le système
néo-colonial
instauré par la France en Afrique sera difficilement
sereine. La Côte
d'Ivoire de Laurent Gbagbo en est la preuve. Mais
l'Histoire s'écrit.
Les idées, les équipes et les méthodes se
renouvellent. Le temps de
la braderie inconsciente des ressources, du pillage
des patrimoines
noirs par les pays occidentaux, de l'exploitation
systématique de
l'Africain sous le nietzschéen prétexte de sa
condition de sous-
homme, est en passe d'être inexorablement révolu.
Qu'il soit
Camerounais ou Ivoirien, il est noir et fier de
l'être, mais humain
avant tout, avec des aspirations, des valeurs et une
identité
revendiquées moderato cantabile, mais ça ira
inéluctablement
crescendo. « Le voudrait-elle, la France n'a plus les
moyens
d'influencer Abidjan et de renouer avec une politique
africaine de
grande puissance. Ni de cogérer l'appareil d'Etat
ivoirien, comme
elle l'a fait jusqu'au début des années
quatre-vingt-dix » constate
M.Bourgi.
Il est toujours périlleux de bâtir un empire sur des
fondations
bancales. « Après le coup d'Etat manqué de septembre
2002, les
ambiguïtés de la politique française [?] ont brouillé
dans l'opinion
ivoirienne la perception de la mission de l'armée
française »
continue Albert Bourgi. L'occupation de l'aéroport
Houphouët-Boigny
et des ponts d'Abidjan par les soldats français est
ressentie comme
un affront par l'Africain nouveau. La destruction de
l'aviation
ivoirienne par l'armée française comme une
humiliation. La propagande
et la désinformation des média gaulois, une insulte.
Les images
montrant soldats et snipers français en train de tirer
sur la foule
de manifestants ivoiriens devant l'hôtel Ivoire à
Abidjan ont été
uniquement retransmises par i-télé, chaîne
d'information en continu
de Canal Plus. Le Canard Enchaîné, qui a visionné le
document filmé
par les journalistes de l'émission « 90 minutes » de
la chaîne
câblée, assène dans son édition numéro 4387 : « Ces
images prouvent
la nécessité d'une enquête approfondie. Et elles
empêchent la France
de se présenter comme la seule victime de ses
sinistres journées. »
La censure, révélée le 21 novembre dernier par
l'émission « Arrêt sur
images » de France 5, a été assumée par les grandes
chaînes de
télévision hexagonales. « A la différence de i-télé,
nous sommes
retransmis sur TV5 et diffusés dans le monde entier.
Nous devons
gérer l'information avec responsabilité », dixit la
responsable de
l'information de la chaîne publique France 2,
interrogée par l'équipe
de l'émission. Les intrigues cousues de fil blanc du
gouvernement
français sont également perçues comme une injure à
l'intelligence. Le
dénigrement vindicatif des leaders africains comme une
vexation. La
mort des civils Ivoiriens, une plaie. Mais rien ne
semble pouvoir
entraver le déroulement de l'Histoire. David contre
Goliath. La fin
n'est pas toujours celle qui paraît la plus évidente.
« On est en
train de perdre la Côte d'Ivoire. [?] C'est d'autant
plus dommage
qu'entre Marcoussis et le laisser-faire, il y avait
une troisième
solution : soutenir Gbagbo à fond [?] », regrette,
amer, un officier
français dans l'hebdomadaire de droite le Figaro.
Vers une interdépendance équitable à l'ère de la
mondialisation
L'avenir est à une coopération équitable, dans le
respect mutuel de
chacun. Lorsque l'Africain est vendeur, il doit
pouvoir, comme le
Brésilien, l'Indonésien ou n'importe qui d'autre,
poser ses
conditions sans avoir à craindre les machinations de
l'Elysée,
pleurer ses morts abattus et décapités, consoler ses
mères violées,
regarder ses enfants grandir dans la misère et la
détresse.
Il est temps que la France fasse son deuil du « bon
nègre rigolard,
grand enfant et soumis ». L'Africain veut acheter
tricolore quand
l'entreprise française propose la meilleure offre
globale et non
parce que son pays est une chasse gardée qui n'a pas
d'autre choix
que d'accepter tous les diktats. Doit-on condamner un
président du
Tiers-monde parce qu'il veut prendre des initiatives
politiques
communes avec la France lorsque celles-ci sont dans
l'intérêt bien
compris de son pays, et non pas parce que son
territoire est un état
vassalisé voué à chanter les louanges du maître ou à
lui servir
d'écho ? Il est important pour tous que le principe
universellement
reconnu du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes
» s'applique à
ceux d'Afrique comme aux autres. Ce qui revient à dire
que l'on
laisse les Ivoiriens approuver la Constitution qui
leur convient et
non celle qui arrange le gouvernement français. Et que
l'on laisse
gouverner les dirigeants que les Africains ont
eux-mêmes élus, même
s'ils ne plaisent pas à l'Elysée.
Nathalie Yamb
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