Ces dernières années, la crise ivoirienne a largement occupé la une des
médias
nationaux et internationaux qui l?ont largement expliquée : idéologie
ultranationaliste de l?ivoirité, attaques contre les étrangers, Constitution
ségrégationniste votée par toute la classe politique (FPI-RDR-PDCI, etc.),
jeu
électoral faussé par l?élimination artificielle des candidats les plus
sérieux
aux présidentielles, massacres d?octobre 2000, charnier de Youpougon,
impunité
généralisée, manque de légitimité du pouvoir très minoritaire de Laurent
Gbagbo,
purges ethniques dans l?armée, attribution de la citoyenneté selon
l?appartenance à un village authentiquement ivoirien, réconciliation
nationale
en trompe-l?oeil, paupérisation grandissante, etc. La situation était donc
explosive depuis longtemps et il suffisait d?une étincelle pour que tout vole
en
éclat. On pouvait donc s?attendre à des réactions averties, raisonnables
depuis
le début d?une mutinerie qui prend de plus en plus les allures d?une
opposition
politique armée. Mais, plus par reflexe que par réflexion, on a vu des
réactions
d?indignations fuser de toutes parts qui augurent mal d?une solution durable
de
cette crise tant les racines de celles-ci sont délibérément occultées au nom
d?intérêts politiciens douteux. En ce sens, la récente rencontre de la CEDEAO
du
29 septembre sur la crise ivoirienne est plus que décevante et n?augure rien
de
bon pour le futur tout comme l?implication militaire de la France aux côtés
des
milices ethniques de Gbagbo abusivement présentées comme des «forces
loyalistes?
nationales.
Des gouvernements étrangers et des institutions africaines comme la CEDEAO,
l?Union Africaine qui ont par le passé émis des réserves sur la nature
autoritaire et xénophobe du regime ivoirien sont devenus subitement
amnésiques
et ont aussitôt, dans un bel élan d?aveuglement et d?unanimité, assuré
Laurent
Gagbo de leur soutien sans faille et se sont lancées dans des surenchères de
dénonciations d?une ?agression? contre ?l?Etat de droit?, ?la
démocratie?, ?un
Président démocratiquement élu?, ?les institutions de la Republique?, ?le
pouvoir constitutionnel?. Le ministre francais des Affaires étrangères,
Dominique de Villepin, y est allé de sa partition : ?Bien évidemment, a
ajouté
le ministre, le soutien de la France au gouvernement démocratiquement élu de
Laurent Gbagbo est là. Notre soutien aux initiatives régionales, et c?est le
sens de l?appui que nous avons donné à la réunion d?Accra, est là aussi pour
bien marquer quels sont les choix et la position de la France.?1 Que la
France
veuille défendre d?autres intérêts en Côte d?Ivoire après avoir mis à l?abri
ses
ressortissants, qu?elle le dise clairement. Nul besoin de falsifier
grossièrement l?histoire récente en qualifiant de ?démocratique? l?accession
de
Gbagbo au pouvoir dans le sang. Tout se passe comme si les populations
Ivoiriennes et africaines étaient encore considérées par des chefs d?Etat
africains nourris à l?autoritarisme et par les autorités françaises comme des
sous-hommes, d?éternels enfants et devaient toujours se contenter de
Présidents
très mal élus - ce que Dominique Villepin ne tolèrerait pas chez lui - de ce
simulacre de démocratie en vogue dans nombre de ces pays africains engagés
dans
la médiation ivoirienne probablement parce qu?elles ne sont pas
encore ?mures?
pour la démocratie, comme le disait il y a quelques années à Abidjan même
Jacques Chirac, l?actuel Président français. Le ministre français Dominique
de
Villepin, du haut de sa condescendance méprisante et raciste pour les
Ivoiriens
qui endurent la répression sauvage de la soldatesque ethnique de Laurent
Gbagbo,
ne convaincrait guère les Ivoiriens et surtout pas Laurent Gbagbo lui-même
qui a
déjà reconnu les ?conditions calamiteuses? (sic) de son ?élection? et
plaidait
plutôt, avec sa démagogie habituelle, pour de ?vraies élections démocratiques
en
2005? tout en poursuivant les purges ethniques contre ses adversaires civils
et
militaires.
Que ce soit sur le plan du principe démocratique, de la transparence des
élections, de l?éthique ou de la pratique politique, le régime de Laurent
Gbagbo
marqué par la répression, la violation des droits humains, la censure et
l?intimidation des médias nationaux et internationaux, les arrestations
arbitraires, l?impunité, le tribalisme et la xénophobie, n?obeit à aucun
critère
qui puisse le réconcilier avec l?essence de la démocratie et la bonne
gouvernance. C?est pour cette raison qu?il est détesté dans le pays, dans la
région, et combattu aujourd?hui par des militaires qui réclament la ?Justice?
dans la gestion de l?Etat voire un changement total de ?regime?.
Tout effort de médiation régionale ou internationale qui ne poserait pas
d?emblée le problème fondamental de l?illégitimité démocratique du régime
d?Abidjan, source de tout, se condamne à l?échec à moins de vouloir comme
solution faire régner à tout prix un ordre militaire étranger, c?est-à-dire
l?occupation et la dictature, par le truchement des forces militaires de
l?Ecomog et françaises. Une telle approche est vouée à l?échec car elle ne
rencontrera guère l?adhésion de toute la société et ne garantira ni la
?stabilité? ni ?l?unité? ni la ?souverainté? de la Côte d?Ivoire qui
sembleraient pourtant si chères à la CEDEAO et à la France qui ne semble pas
avoir tiré les leçons de sa pitoyable expérience au Rwanda et de ses
dernieres
errements a Madagascar en faveur du fraudeur Ratsiraka.
A l?intérieur du pays, pour tenter de masquer et contourner son manque de
légitimité démocratique, le régime minoritaire et ethniciste de Laurent
Gbagbo a
choisi d?utiliser le dernier gadget à la mode du ?patriotisme contre le
terrorisme?. Il s?est ainsi lancé dans une propagande patriotique aussi
douteuse
qu?inéfficace sur le thème ?Défendons la patrie en danger? face à
une ?attaque
terroriste? orchestrée par un ?pays de la région? contre un ?régime
démocratique, constitutionnel?. Des associations, tous les petits et grands
partis ont été fermement invités à se traîner aux pieds de Laurent Gbagbo
pour
l?assurer de leur soutien patriotique. Cette propagande patriotique reste
finalement peu mobilisatrice parce que la nation ivoirienne tout comme
l?armée
est en miette depuis longtemps à cause notamment de la politique de division
ethnique menée par Laurent Gbagbo et ses prédécesseurs à travers l?ivoirité.
En réalité, Laurent gbagbo ne peut compter que sur les milices ethniques
bétés
avec lesquelles il a noyauté l?armée et la gendarmerie pour défendre son
régime
très minoritaire dans le pays. ?L?armée loyaliste? de Laurent Gbagbo pourrait
donc fondre comme neige au soleil, à l?image de ses militaires loyalistes qui
ont abandonné précipitamment les villes du nord sans vraiment combattre. Les
militaires des autres ethnies sont démotivés et ne ratent aucune occasion,
lorsqu?ils sont envoyés au front, de se fondre dans la nature ou de passer
dans
le camp adverse. On ne voit pas pourquoi un militaire ?loyaliste? du Nord ou
Akan, probablement plus otage que loyaliste, irait combattre
avec ?patriotisme?
dans des régions du Nord ou Akan uniquement pour renforcer un régime
autoritaire
à dominante ethnique bété qui lui est habituellement hostile. Tout ceci
explique
la facilité avec laquelle les adversaires de Laurent Gbagbo ont occupé très
rapidement la moitié nord du pays et qu?ils poursuivront leur marche
victorieuse
sur Abidjan si le régime ne bénéficie pas d?un cessez-le-feu ou d?une
complaisante assistance étrangère.
Au moment où on annonce ici et là des initiatives diplomatiques voire des
actions militaires pour sauver le régime de Laurent Gbagbo, le ?président
élu?,
il importe de poser le bon diagnostic pour se donner une chance de trouver le
remède en rappelant la donnée essentielle suivante de la crise : Laurent
Gbagbo
a été tres mal élu, dans des ?conditions calamiteuses? comme il le dit lui-
même
et sa légitimité n?a jamais cesse d?être contestée par des médias nationaux
et
des franges de la population. C?est que l?élection présidentielle d?octobre
2000
a eu lieu sur fond d?élimination artificielle ?légale? des adversaires les
plus
sérieux (Konan Bédié et Alassane Ouattara), de contestations énormes qui ont
débouché sur des violences politico-ethniques, des massacres organisés par
les
partisans de Robert Guei et des militants du FPI de Laurent Gbagbo soutenus
par
des milices organisées au sein des forces de l?ordre. Le pouvoir de Laurent
Gbagbo, qui a refusé de soumettre comme il se devait le contentieux électoral
à
une Cour suprême dont il doutait de l?impartialité, n?a finalement eu d?autre
légitimité que celle de la force brute, de la loi de la jungle et non du
droit
et de la démocratie. Sachant qu?il ne pouvait raisonnablement gagner des
élections démocratiques transparentes ? son groupe ethnique ne représente que
15% tandis que ceux de Konan Bédié et Alassane Ouattara pèsent chacun 40% -
Laurent Gbagbo a préféré la voie des intrigues politiciennes pour écarter ses
adversaires les plus sérieux avec la complicité du Général Robert Guei,
également originaire de l?ouest comme lui.
En cela le pouvoir de Laurent Gbagbo est exactement de même nature que le
pouvoir des militaires ivoiriens qui s?opposent aujourd?hui à lui et qui ont
occupé en une semaine la moitié du pays par la force des armes. De même que
Laurent Gbagbo représente maintenant - et peut-être très provisoirement - le
pouvoir ?légal? dans le Sud, de même les militaires en révolte représentent
le
pouvoir ?légal? dans le Nord. C?est uniquement avec eux que l?armée française
a
du négocier un cessez-le-feu de 48 heures pour évacuer des ressortissants
étrangers. Laurent Gbagbo, aussi président ?légal? qu?il fut pour le pays
jusqu?au début de la révolte en cours n?est désormais plus que celui d?une
portion de celui-ci depuis le 19 septembre. La légalité sur le Nord et le
Centre
lui a échappée.
Tous les gouvernements et les organisations internationales qui voudront
s?impliquer dans une résolution de la crise ivoirienne doivent prendre en
compte
la réalité des rapports de force sur le terrain en constatant dès à présent
l?autorité des militaires sur une partie du pays et surtout admettre une fois
pour toute très clairement que Laurent Gbagbo, aussi
président ?constitutionnel?
ou ?légal? qu?il ait été n?a en réalité pas plus de légitimité démocratique
et
de légalité que la rébellion militaire. Les uns et les autres ont acquis leur
position de pouvoir dans le sang et par la force brute. Les pays qui
voudraient
sécourir Laurent gbagbo en utilisant le faux prétexte de la ?défense de la
démocratie? se tromperont lourdement au regard des faits et de la morale. En
ce
sens, les propos belliqueux de Thabo Mbeki sont totalement irréalistes et
partisans quand il estime qu?en cas d?échec de la médiation, ?les mesures
nécessaires seront prises pour mâter la rébellion.?2. La crise ivoirienne ne
se
résoudra pas à coups d?ultimatums et de ménaces. Car vouloir maintenir
artificiellement par une force étrangère un président sans aucune légitimité
démocratique, aux mains tâchées de sang, aussi mal élu, impopulaire,
xénophobe
et tribaliste, que Laurent Gbagbo ne fera que susciter des réactions
d?hostilité
d?une grande partie de l?armée et des populations et plongera la Côte
d?Ivoire
dans un cycle sans fin de crises. Faut-il pour défendre un homme comme
Laurent
Gbagbo prolonger l?agonie du pays ?
Lors du coup d?Etat de Robert Guei en décembre 1999, toute la Côte d?Ivoire a
dansé et salué la chute de Konan Bédié, le père de l?ivoirité et grand
pilleur
de déniers publics devant l?Eternel. C?est que les Ivoiriens y avaient vu une
opportunité de changement démocratique et de modernisation. Ils ont vite
déchanté car Robert Guei n?était guère différent de celui qu?il avait
renversé.
Comme Konan Bédié, il était un ?houphouetiste?, c?est-à-dire un homme formé à
l?école d?Houphouet-Boigny, celle de l?autoritarisme, du tribalisme et du
pillage des ressources de l?Etat à des fins de jouissance personnelle.
Au moment où une victoire des militaires qui contrôlent le nord du pays
paraît
plausible si le régime aux abois de Laurent gbagbo n?est pas secouru par des
pays étrangers, il importe de veiller à ce qu?ils travaillent à une vraie et
rapide démocratisation du pays. Cela passe par l?élimination de toute cette
vieille classe politique carente dont les alliances et les querelles ont
plongé
le pays dans la crise ivoirienne actuelle, à savoir Laurent Gbagbo, Konan
Bédié
et Alassane Ouattara. La Côte d?Ivoire doit désormais, pour se regénérer,
tourner définitivement la page de ces politiciens médiocres qui ont plongé,
en
dix ans, le pays dans le chaos tout en s?enrichissant au détriment d?une
population qui s?appauvrit jour après jour qu?elle soit du Sud, du Nord, de
l?Ouest ou de l?Est3. Ceux d?entre eux qui sont suspectés de crimes
économiques
et de sang doivent être confiés aux autorités judiciaires en veillant au
respect
scrupuleux de tous leurs droits. Il est clair qu?aucun d?entre eux ne pourra
unir le pays autour de son nom tant ils sont tous controversés et rejetés de
manière virulente par une partie significative de l?opinion ivoirienne. Cela
signifie concrètement que toute médiation doit désormais chercher à dégager
une
personnalité neuve, consensuelle pour assurer une transition qui permettra de
rassembler le pays, de mettre un terme à la politique d?exclusion de
l?ivoirité
et de préparer de nouvelles élections. Laurent Gbagbo, le président ?légal?
sans
légitimité démocratique, est devenu, de répressions sanglantes en faux
complots,
un gros problème : il ne peut plus être la solution acceptable pour
l?écrasante
majorité des Ivoiriens. Il doit être mis hors-jeu pour que tout le pays
prenne
le chemin d?une vraie paix et de la stabilité. Un homme qui vient de
s?attribuer
un salaire faramineux de 9,5 millions de FCFA par mois - scandaleux pour un
pays
pauvre comme la Cote d?Ivoire ?, de 4 a 7 millions de FCFA pour ses
ministres4
et qui veut dans le même exclure arbitrairement de l?armée des militaires qui
ne
perçoivent que 50.000 FCFA par mois (soit 190 fois moins que Gbagbo) en
justifiant cela par des raisons budgetaires ? la vraie raison étant qu?il
travaillait à un réequilibrage ethnique en sa faveur - est complètement
irresponsable, injuste et montre que Laurent Gbagbo n?a aucun sens de la
justice
dans la conduite des affaires de l?Etat ni l?étoffe d?un homme d?Etat.
La perspective ? qui n?est plus une vue de l?esprit en l?état actuel des
choses
? d?un nouveau retour des militaires au pouvoir en Côte d?Ivoire peut
effrayer à
juste titre tant on peut craindre la répétition du scénario catastrophe de
Robert Guei. Une extrême vigilance doit toujours être de mise en pareille
circonstance. Cependant, on ne manque pas d?être frappé par le souci des
?rebelles? de présenter une image responsable, d?éviter les exactions et de
rechercher l?adhésion des populations. Dans les zones qu?ils contrôlent, ils
ne
se sont jamais livrés à des pillages et des tueries comme on l?a vu ailleurs.
Ils ont fait leurs courses et payé cash. Ils ont veillé à épargner les
civils,
veillé à la sécurité des ressortissants étrangers et coopéré à leur
évacuation.
Ils ont insisté pour dire qu?ils constituaient une diversité ethnique, une
fraternité ethnique qui refuse la politique tribaliste des Gbagbo et qui
exige
désormais plus de justice dans la conduite des affaires de l?Etat. Ils ont
annoncé qu?ils voulaient une autre personne à la présidence de la République.
Les populations fraternisent avec eux, les soutiennent par des manifestations
populaires et s?enrolent dans les troupes parce qu?elles voient dans leur
attitude des signes annonciateurs d?un véritable changement politique positif
dans le pays. Ils ont si bien coopéré et communiqué intelligemment avec la
presse internationale au point que les médias proches du régime accusent les
radios internationales (RFI, BBC, Africa numero 1), désormais censurées à
Abidjan, de complicité avec les ?terroristes?.
Il est donc permis de penser que ces militaires qui ont jusqu?à présent
veiller
à soigner leur image auprès des populations auront davantage intérêt à suivre
les traces d?Amadou Toumani Toure (Mali) et Jerry Rawlings (Ghana) qui ont
construit la démocratie dans leur pays plutôt que celles de Robert Guei qui a
torturé, assassiné et provoqué l?exil de nombre d?entre eux et projeté la
Côte
d?Ivoire dans le chaos. La fin pitoyable de Robert Guei et le succès de
Rwalings
et Amadou Toumani Toure devraient en tout cas inspirer très fortement
l?opposition militaire ivoirienne. Dans ce chaos ivoirien provoqué par des
politiciens très faibles, il n?est pas exclu que le salut vienne enfin de ces
militaires entrés en révolte contre l?injustice, l?impunité, l?éthnicisation
politique et qui revendiquent maintenant un changement en faveur de la
démocratie. C?est uniquement aux Ivoiriens d?en décider car c?est de leur
destin
qu?il s?agit.
Auteurs :
Fatou Gaye-Coulibaly, Docteur en Anthropologie de l?Ecole des Hautes Etudes
en Sciences sociales de Paris (France).
Tiemoko Coulibaly, Docteur en Histoire de l?Universite Paris1-Panthéon
L'Observateur
Burkina-Faso
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