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COTE D'IVOIRE : de l'exclusion à la sécession ?

To: afrique@univ-lyon1.fr
Subject: COTE D'IVOIRE : de l'exclusion à la sécession ?
From: "Noel N." <nono@xulucity.com>
Date: Mon, 7 Oct 2002 11:28:20 +0300
Delivered-to: afrique@dns2.univ-lyon1.fr
Delivered-to: afrique@univ-lyon1.fr
L'instabilité est devenue chronique en Côte d'Ivoire dès lors que la 
démocratisation a pris des chemins buissonniers. Les élections 
départementales de juillet avaient assez clairement indiqué que, si les 
échéances calendaires avaient bien été tenues, les règles continuaient d'être 
biaisées puisque la distribution des cartes d'électeurs avait privé plus d'un 
million de citoyens, suspectés d'être des "étrangers", de la possibilité de 
s'exprimer. 

Finalement, très peu (28 %) s'étaient déplacés, et le jeu des alliances 
politiques contre le Rassemblement des républicains (RDR) d'Alassane Ouattara 
rendait difficile à lire la géographie électorale du pays. 

Néanmoins, bien que floue, la carte des résultats des départementales 
confirmait ce qui apparaissait entre les lignes des municipales de mars 
2001 : le pays est divisé en 3 blocs relativement homogènes. Le nord vote 
majoritairement pour le RDR, le quart sud-est pour le Parti démocratique de 
la Côte d'Ivoire (PDCI), à l'exception de la périphérie d'Abidjan qui 
s'ajoute au quart sud-ouest pour soutenir le Front populaire ivoirien (FPI). 
Et, dans le grand ouest, 3 départements affichent leur soutien au nouveau 
parti de feu le général Robert Gueï. 

Cette carte illustre une application ethnique du multipartisme, même si l'on 
peut faire bouger 2 ou 3 départements de part et d'autre des limites ainsi 
dessinées. C'est sans doute dans cette division figée que réside précisément 
une part importante des risques d'instabilité du pays, d'autant plus que 
chaque parti dispose de figures emblématiques auxquelles mieux vaut ne pas 
toucher. 

Jusqu'au putsch de décembre 1999, les victimes des soulèvements étaient des 
soldats ou de simples citoyens dont l'opinion nationale et internationale ne 
se souciait pas très longtemps, et la vie avait repris son cours, comme après 
un avertissement sans frais. Le charnier d'octobre 2000, ou les viols et 
exécutions sommaires qui avaient marqué les manifestations suivantes, 
n'avaient ni mobilisé les foules ni sensibilisé les responsables sur la 
nécessité de rendre un peu de discipline et de vertu aux militaires et autres 
forces de l'ordre. 

La preuve : le 19 septembre, un scénario déjà éprouvé à quatre ou cinq 
reprises depuis moins de trois ans s'est reproduit. Et se reproduira, car les 
hommes en uniforme ont goûté à l'ivresse que procure la toute-puissance des 
armes quand on peut ainsi faire main basse sur une ville et, au passage, se 
servir ; mais aussi, accessoirement, s'il s'agit de soutenir la cause d'un 
homme ou d'un parti pour accéder, le cas échéant, à la sphère suprême, celle 
qui dispose de la manne et peut ainsi distribuer prébendes et privilèges 
comme au bon vieux temps des républiques bananières. 

Car le drame de la Côte d'Ivoire vient de là : l'après-houphouëtisme se 
cherche encore. La richesse ou le mirage ivoirien ont longtemps fait 
illusion, mais le pays est encore gouverné selon des recettes qui pouvaient 
marcher il y a trente ou quarante ans, mais qui ne fonctionnent plus dans le 
nouveau siècle parce que les choses ont (beaucoup) changé : l'Etat n'a plus 
aucun poids, étranglé qu'il est par la dette, par les créanciers (bailleurs 
de fonds), et par le libéralisme économique qu'ils imposent et qui met à 
genoux les petits planteurs, les simples cultivateurs, et tous les employés 
des secteurs formel et informel dont il faut bien savoir qu'ils vivent de 
plus en plus dans une grande misère. 

Dans un tel cadre, le sens moral aussi est en crise, y compris et peut-être 
surtout du côté de certaines valeurs de tolérance et d'hospitalité que 
Houphouët-Boigny avait développées, du temps où il en avait les moyens. Les 
étrangers (26 % de la population de Côte d'Ivoire), autrefois main-d'?uvre et 
fer de lance du dynamisme économique ivoirien, sont désormais montrés du 
doigt comme des prédateurs, et, hélas, amalgamés aux Dioulas du nord du pays 
dans une attitude de rejet qui menace rien moins que l'intégrité territoriale 
du pays. D'ailleurs, c'est bien dans cette moitié nord que les mutins 
semblent évoluer comme s'ils étaient chez eux. 

Il y avait sans doute moyen de faire entrer le pays dans l'ère d'une 
démocratie apaisée, en jouant le jeu de la libre expression de toutes les 
sensibilités politiques. On a fait le contraire, avec des ficelles d'une 
autre époque. En diabolisant Alassane Ouattara, pourtant dernier premier 
ministre de Houphouët-Boigny, puis en y associant des ingrédients explosifs 
comme l'appartenance ethnique (les Dioulas), voire la religion (l'islam), les 
successeurs du père de la nation (Konan Bédié, Robert Gueï et Laurent Gbagbo) 
ont contribué à exacerber des passions identitaires d'autant moins 
canalisables que, trop souvent désormais, les militaires sortent de leurs 
casernes pour se mêler au débat. 

Même si le pays parvenait à sortir de cette nouvelle turbulence, il lui 
resterait à désamorcer deux bombes à retardement : la loi foncière de 1998, 
qui "rend" la terre à ceux qui ne la cultivent pas (et spolie à la fois les 
allogènes ivoiriens et les allochtones étrangers), et surtout la Constitution 
de 2000, qui non seulement écarte toujours Alassane Ouattara de la 
candidature à la présidence, mais aussi ne prévoit pas la possibilité de 
dissoudre l'Assemblée nationale en cas de crise sociopolitique majeure (et ne 
laisse donc d'autre choix qu'entre la dictature ou le putsch militaire). 

Des négociations ? Si on en attend qu'elles traitent le problème ivoirien sur 
le long terme, c'est précisément sur les blocages constitutionnels qu'elles 
devront porter : pour régler cette crise latente depuis l'apparition du 
concept d'"ivoirité", il faut organiser de nouvelles élections, et donc 
transgresser au moins deux articles de la Constitution actuelle. Mal élu, 
Laurent Gbagbo disposerait alors d'une dernière chance de se dessiner un 
véritable costume d'homme d'Etat, en se posant en rassembleur. En est-il 
capable ? 

Les leaders ivoiriens étaient quatre, fin 2001, à s'embrasser au Forum de 
réconciliation nationale, dans un geste classique de magie africaine qui 
passe pour être efficace. Ceux qui y avaient cru constatent aujourd'hui 
qu'ils ne sont plus que trois. L'image forte est lézardée. Les fissures ainsi 
créées dessinent une nouvelle carte du pays qu'on n'ose imaginer. 

Christian Bouquet 

Christian Bouquet est maître de conférences de géographie à l'université 
Michel-de-Montaigne-Bordeaux-III. 

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