To: | <afrique@univ-lyon1.fr>, <jtra00@yahoo.com> |
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Subject: | CI : Vers le "modèle congolais"? (Le Monde-2 articles) |
From: | "OLIVIER.STABLE" <OLIVIER.STABLE@wanadoo.fr> |
Date: | Sat, 5 Oct 2002 16:33:33 +0200 |
Delivered-to: | afrique@dns2.univ-lyon1.fr |
Delivered-to: | afrique@univ-lyon1.fr |
Vers le "modèle congolais"?
• LE MONDE | 05.10.02 | 12h00 Dans la tragique descente aux enfers de la Côte d'Ivoire, la sécession menace, et, pour la première fois, les guerres entropiques des pays limitrophes font irruption sur ce territoire encore préservé. Faute de saisir la question ivoirienne en termes de relations internationales, nombre d'analystes semblent manquer l'événement. Certes, nul, cette fois, n'a vu venir le "deuxième
coup" qui frappe, après Noël 1999 et le putsch rampant qui amena au pouvoir le
général Gueï, le pays autrefois le plus riche et le plus stable de l'Afrique de
l'Ouest. Mystères d'Abidjan : nul ne peut non plus, entre rumeurs folles et
désinformation, dire le fin mot du nouveau coup d'Etat. En connaître le
commanditaire ultime et ses formes de financement en donnerait en effet tout le
sens.
Pour une fois, la "thèse du complot", ce degré zéro
de la politologie, serait-elle justifiée ? Reste à établir le contexte, les
bénéficiaires, mais aussi les faux-semblants. Certainement, bien des comptes se
soldent aujourd'hui : si nous étions très peu, dans les années 1980, à prédire
les fractures ethniques, sociales, et la montée de la violence, beaucoup ont
pourtant averti de la fragilité des frontières du Nord (côté Burkina et Mali) et
surtout de l'Ouest (vers le Liberia).
A quoi bon ? A quoi sert la coopération française ?
Pourquoi 600 hommes à Bort-Bouët ? Certes, pour se substituer, sous Félix
Houphouët-Boigny, à une armée ivoirienne volontairement tenue en marge. Mais
depuis dix ans qu'a-t-on fait, dans la perspective d'un retrait ou d'une
non-intervention systématique, pour mettre à niveau une armée nationale qu'on
voit aujourd'hui sans moral, sans matériel ni capacités offensives ? Par
ailleurs, bloquer deux ans la coopération économique au lieu de contrer les
diktats mal informés, malveillants de l'Union européenne et des institutions de
Bretton Woods (alors que l'on soutient, ailleurs en Afrique, dictatures et
"démocratures"), a été plus qu'une erreur : une grave faute politique qui se
paie aujourd'hui.
Sans doute les relations franco-ivoiriennes
sont-elles fluctuantes et soumises à un double effet de miroir. Projections
ivoiriennes sur la scène politique parisienne : "désir de France" mimétique,
mais aussi réseaux d'influence et de propagande comme ceux de M. Bédié et M.
Ouattara qui ont bien enrichi des "conseillers en images" sans scrupules, et
brouillé la compréhension des enjeux. Effet de miroir inverse où bien des
politiques et affairistes français se positionnent dans des alliances
abidjannaises : qui sait jusqu'où l'alternance à Paris a paru un signal, pour
des éléments incontrôlés, à renverser un des rares régimes africains à pouvoir
se revendiquer socialiste ?
Les exemples sont légion des contre-vérités
répandues, à Paris, contre le pouvoir actuel. Dans la querelle de la légitimité,
si seuls les révisionnistes d'extrême droite prétendent que le Front populaire
ivoirien (FPI) ne représente que les 10 % de l'ethnie bété, les pro-Ouattara
daubent sur le faible taux de participation à la présidentielle de 2001,
oubliant les 75 % exprimés pour Laurent Gbagbo - alors même que le général Gueï
tenait l'armée et l'Etat. Qui, ici, a entendu parler, dans les jours terribles
de cette élection, de la tentative d'insurrection RDR (Rassemblement des
républicains), succédant à la courageuse insurrection d'une population désarmée
contre le régime militaire ? Aucun connaisseur du politique en Afrique ne
pourrait croire qu'élections et événements échappent au prisme d'une ethnicité
sans cesse recomposée.
Repoussés d'Abidjan - ce qui prouve un plan
national d'envergure -, les mutins ont tenté de trouver une base sénoufo et
malinké dans le Nord, puis de fédérer les mécontents de tous ordres, notamment
les marginaux urbains et les aventuriers de toute l'Afrique de l'Ouest. Et de
conquérir la capitale et le pouvoir politique (les rebelles improvisant
récemment le "mouvement patriotique de Côte d'Ivoire") - pour inverser
l'hégémonie ehtnonationaliste du Sud, selon un schéma de revanche qui rappelle
celui des "natives" de l'intérieur sur les "congos" de Monrovia.
Bien lisible dans des pays comme le Liberia et la
Sierra Leone, c'est bien cette base redoutable des conflits segmentaires d'un
nouveau type qui engendre des "sociétés en guerre" prêtes à toutes les
aventures, mêlant querelles et alliances ethniques, appui des ligues
francophones et anglophones, subsides des "parrains" régionaux, trafiquants des
matières premières comme le diamant, pillant les pays et offrant aux jeunes
défavorisés un exutoire - à défaut d'un avenir.
Cette sorte de guerre qui gagne comme un feu de
brousse par-delà les frontières a déjà embrasé les Congo et l'Afrique centrale.
Il se pourrait que la diplomatie brouillonne de la Communauté économique des
Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) ou de la toute neuve Union africaine,
combinée aux ravages du Groupe de contrôle de la communauté économique (Ecomog)
et des divers corps expéditionnaires, mette, à terme, un peu plus d'huile sur ce
feu.
Les répercussions sur les communautés immigrées en
Côte d'Ivoire sont les premières à craindre, les facteurs politico-militaires se
combinant à une complexe situation foncière où les allogènes, quel que soit leur
nombre, se sentent toujours à la merci des autochtones. La situation des fortes
communautés libanaises et même française (20 000 ressortissants, dont la moitié
de binationaux) s'en ressentirait forcément.
On comprend bien que Paris, comme dans la crise
malgache, souhaite des organisations-écrans et des supplétifs commodes. Ne pas
intervenir serait pourtant violer les accords de défense - tant la complicité
plus ou moins ouverte des capitales qui ont hébergé, financé et armé les
rebelles semble patente - et précipiter une politique du pire qui verrait
s'entre-déchirer, sur le long terme, Ivoiriens et étrangers, selon des fronts
mouvants. Y compris en milieu urbain : dans Abidjan, les Dioulas (nordistes
ivoiriens, maliens et burkinabé mêlés dans la vindicte populaire) représentent
50 % environ de la population.
Dans le meilleur des cas, les nouvelles factions
africaines d'"interposition" pourraient ressourcer le nationalisme ivoirien sur
d'autres bases qu'une ivoirité de triste mémoire, notamment si le RDR se
décidait à désavouer la rébellion actuelle et ses tentations séparatistes. A ce
prix, le contre-modèle congolais pourrait échouer en Côte d'Ivoire. A condition
de résoudre les autres conflits de l'arc de crise ouest-africain, qui
fonctionnent en système, autrement que par d'inefficaces sanctions ou le
financement de rebellions réactives, mais plutôt en aidant, sans plus
tergiverser, à la reconstruction.
Michel Galy
Michel Galy est politologue, chercheur
au Centre d'étudessur les conflits, il enseigne à l'Institut d'études politiques
de Paris.
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Côte d'Ivoire : de l'exclusion à la sécession
?
• LE MONDE | 05.10.02 | 12h00 L'instabilité est devenue chronique en Côte d'Ivoire dès lors que la démocratisation a pris des chemins buissonniers. Les élections départementales de juillet avaient assez clairement indiqué que, si les échéances calendaires avaient bien été tenues, les règles continuaient d'être biaisées puisque la distribution des cartes d'électeurs avait privé plus d'un million de citoyens, suspectés d'être des "étrangers", de la possibilité de s'exprimer. Finalement, très peu (28 %) s'étaient déplacés, et le jeu des alliances politiques contre le Rassemblement des républicains (RDR) d'Alassane Ouattara rendait difficile à lire la géographie électorale du pays. Néanmoins, bien que floue, la carte des résultats
des départementales confirmait ce qui apparaissait entre les lignes des
municipales de mars 2001 : le pays est divisé en 3 blocs relativement homogènes.
Le nord vote majoritairement pour le RDR, le quart sud-est pour le Parti
démocratique de la Côte d'Ivoire (PDCI), à l'exception de la périphérie
d'Abidjan qui s'ajoute au quart sud-ouest pour soutenir le Front populaire
ivoirien (FPI). Et, dans le grand ouest, 3 départements affichent leur soutien
au nouveau parti de feu le général Robert Gueï.
Cette carte illustre une application ethnique du
multipartisme, même si l'on peut faire bouger 2 ou 3 départements de part et
d'autre des limites ainsi dessinées. C'est sans doute dans cette division figée
que réside précisément une part importante des risques d'instabilité du pays,
d'autant plus que chaque parti dispose de figures emblématiques auxquelles mieux
vaut ne pas toucher.
Jusqu'au putsch de décembre 1999, les victimes des
soulèvements étaient des soldats ou de simples citoyens dont l'opinion nationale
et internationale ne se souciait pas très longtemps, et la vie avait repris son
cours, comme après un avertissement sans frais. Le charnier d'octobre 2000, ou
les viols et exécutions sommaires qui avaient marqué les manifestations
suivantes, n'avaient ni mobilisé les foules ni sensibilisé les responsables sur
la nécessité de rendre un peu de discipline et de vertu aux militaires et autres
forces de l'ordre.
La preuve : le 19 septembre, un scénario déjà
éprouvé à quatre ou cinq reprises depuis moins de trois ans s'est reproduit. Et
se reproduira, car les hommes en uniforme ont goûté à l'ivresse que procure la
toute-puissance des armes quand on peut ainsi faire main basse sur une ville et,
au passage, se servir ; mais aussi, accessoirement, s'il s'agit de soutenir la
cause d'un homme ou d'un parti pour accéder, le cas échéant, à la sphère
suprême, celle qui dispose de la manne et peut ainsi distribuer prébendes et
privilèges comme au bon vieux temps des républiques bananières.
Car le drame de la Côte d'Ivoire vient de là :
l'après-houphouëtisme se cherche encore. La richesse ou le mirage ivoirien ont
longtemps fait illusion, mais le pays est encore gouverné selon des recettes qui
pouvaient marcher il y a trente ou quarante ans, mais qui ne fonctionnent plus
dans le nouveau siècle parce que les choses ont (beaucoup) changé : l'Etat n'a
plus aucun poids, étranglé qu'il est par la dette, par les créanciers (bailleurs
de fonds), et par le libéralisme économique qu'ils imposent et qui met à genoux
les petits planteurs, les simples cultivateurs, et tous les employés des
secteurs formel et informel dont il faut bien savoir qu'ils vivent de plus en
plus dans une grande misère.
Dans un tel cadre, le sens moral aussi est en
crise, y compris et peut-être surtout du côté de certaines valeurs de tolérance
et d'hospitalité que Houphouët-Boigny avait développées, du temps où il en avait
les moyens. Les étrangers (26 % de la population de Côte d'Ivoire), autrefois
main-d'œuvre et fer de lance du dynamisme économique ivoirien, sont désormais
montrés du doigt comme des prédateurs, et, hélas, amalgamés aux Dioulas du nord
du pays dans une attitude de rejet qui menace rien moins que l'intégrité
territoriale du pays. D'ailleurs, c'est bien dans cette moitié nord que les
mutins semblent évoluer comme s'ils étaient chez eux.
Il y avait sans doute moyen de faire entrer le pays
dans l'ère d'une démocratie apaisée, en jouant le jeu de la libre _expression_ de
toutes les sensibilités politiques. On a fait le contraire, avec des ficelles
d'une autre époque. En diabolisant Alassane Ouattara, pourtant dernier premier
ministre de Houphouët-Boigny, puis en y associant des ingrédients explosifs
comme l'appartenance ethnique (les Dioulas), voire la religion (l'islam), les
successeurs du père de la nation (Konan Bédié, Robert Gueï et Laurent Gbagbo)
ont contribué à exacerber des passions identitaires d'autant moins canalisables
que, trop souvent désormais, les militaires sortent de leurs casernes pour se
mêler au débat.
Même si le pays parvenait à sortir de cette
nouvelle turbulence, il lui resterait à désamorcer deux bombes à retardement :
la loi foncière de 1998, qui "rend" la terre à ceux qui ne la cultivent pas (et
spolie à la fois les allogènes ivoiriens et les allochtones étrangers), et
surtout la Constitution de 2000, qui non seulement écarte toujours Alassane
Ouattara de la candidature à la présidence, mais aussi ne prévoit pas la
possibilité de dissoudre l'Assemblée nationale en cas de crise sociopolitique
majeure (et ne laisse donc d'autre choix qu'entre la dictature ou le putsch
militaire).
Des négociations ? Si on en attend qu'elles
traitent le problème ivoirien sur le long terme, c'est précisément sur les
blocages constitutionnels qu'elles devront porter : pour régler cette crise
latente depuis l'apparition du concept d'"ivoirité", il faut organiser de
nouvelles élections, et donc transgresser au moins deux articles de la
Constitution actuelle. Mal élu, Laurent Gbagbo disposerait alors d'une dernière
chance de se dessiner un véritable costume d'homme d'Etat, en se posant en
rassembleur. En est-il capable ?
Les leaders ivoiriens étaient quatre, fin 2001, à
s'embrasser au Forum de réconciliation nationale, dans un geste classique de
magie africaine qui passe pour être efficace. Ceux qui y avaient cru constatent
aujourd'hui qu'ils ne sont plus que trois. L'image forte est lézardée. Les
fissures ainsi créées dessinent une nouvelle carte du pays qu'on n'ose
imaginer.
Christian Bouquet
Christian Bouquet est maître de conférences de géographie à l'université Michel-de-Montaigne-Bordeaux-III. |
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