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Paix, Memoire, Pouvoir (suite)

To: afrique@univ-lyon1.fr
Subject: Paix, Memoire, Pouvoir (suite)
From: Mpkmount@aol.com
Date: Sun, 26 Feb 2006 01:50:16 EST
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Paix, mémoire, pouvoir (suite)


Vendredi 27 janvier, 7h30



Un point de vue qui fait suite à l’article " Paix, mémoire, pouvoir " d’Erutan Kimbembe. Il est inspiré par l’analyse des rapports entre la paix et les rapprochements ou éloignements de certains membres de la classe politique de notre pays, tels qu’ils se font aujourd’hui.


Par Jean-Pierre Loundoubi

L'article d’Erutan Kimbembe, à mon humble avis, pose des questions fondamentales : quelles sont les conditions, notamment politiques et économiques, d’une paix sociale durable au Congo ? À quels indices devrions-nous identifier les membres de la classe politique congolaise acquis à l’idée de paix et travaillant réellement et sincèrement pour que notre pays la retrouve ? Suffit-il d’intégrer l’un des groupes prébendiers actuellement mis en place au Congo par Sassou, sous inspiration de la mafia internationale, ou l’une des nombreuses coteries ancrées dans la famille du souverain de M’pila pour recevoir (de qui et de quel droit ?) le précieux titre d’apôtre de la paix ?

À présent que s’annonce la fin des dinosaures politiques comme Lissouba, Kolélas, Yhombi …, nous Congolais, devrions-nous nous démener pour placer de nouveaux épouvantails à la tête de nos formations politiques ou au contraire, profiter de cette occasion pour les moderniser en en démocratisant le fonctionnement pour que y émergent de managers compétents, respectueux de l’_expression_ démocratique des adhérents et de l’ensemble des citoyens Congolais, ayant en tête l’idée d’efficacité dans l’atteinte des objectifs assignés, le sentiment du mérite, du devoir et de responsabilité ? Quelle devrait être l’attitude des personnes instruites et des cadres, au sein de nos formations politiques respectives, face aux choix stratégiques de nos leaders en cette période charnière ? Arrêtons ici la liste des axes de réflexion que suscite cet article et revenons-en au plus près du contenu explicite.

À présent que s’annonce la fin des dinosaures politiques


Je suis toujours interloqué par le génie de Sassou et ses acolytes à toujours dévoyer et galvauder des concepts. Hier, ils ont tourné en dérision le concept de révolution socialiste scientifique, de plan en y introduisant l’idée floue de « plan glissant » aujourd’hui, ceux de démocratie et de paix. Que veulent dire démocratie et paix dans un système politique où un seul a droit de vie et de mort sur chacun et sur tous, qui paupérise à l’extrême et clochardise les populations et les fonctionnaires de l’État, exproprient les citoyens, à Brazzaville et Pointe-Noire, de leurs terrains à bâtir et pour certains, de leurs biens immobiliers ? Comment parler de démocratie et de paix en rapport à un système qui terrorise les populations par les troupes angolaises, tchadiennes et zimbabwéennes d’occupation du Congo, les mercenaires de tous bords et les miliciens cobras extrêmement fanatisés ? Quand un système politique fait du pillage, du viol, du racket, de l’intimidation et de l’assassinat de paisibles citoyens congolais des procédés de gouvernement, comment parler de démocratie et de paix ? Dans un système où les infrastructures de communication physique, de santé et d’éducation ne sont pas la préoccupation des gouvernants obsédés par l’enrichissement personnel, peut-on sérieusement parler de démocratie et de paix ?

Décidément, Sassou a l’art de la métonymie lui permettant chaque fois de désigner des réalités sociales et politiques par leurs contraires : l’insécurité et la peur par la quiétude et la sécurité, la guerre, ouverte ou larvée, par la paix et la dictature par la démocratie. Quel monstre !

Je ne reviens pas sur la nécessité d’un devoir de mémoire en face des drames à répétition que vit notre peuple depuis plusieurs décennies, du fait de l’irresponsabilité de certains membres de la classe politique congolaise ni sur celle de combattre la mauvaise gouvernance, l’arbitraire, le non droit, l’impunité des dirigeants politiques auteurs de fautes graves, et l’anomie comme techniques de gouvernement chez Sassou. Je prolonge plutôt notre interpellation, à nous tous Congolaises et Congolais, par la gravité de la situation du moment, en insistant sur deux aspects qui appellent instamment notre attention et notre action : la situation de nos partis politiques et le rôle de l’armée dans notre pays.

Ce ne sont pas les leaders, si charismatiques fussent-ils, qui font l’histoire


Introduisons notre propos sur les formations politiques congolaises par une remarque plutôt liée aux leaders politiques : ce ne sont pas les leaders, si charismatiques fussent-ils, qui font l’histoire, mais les peuples. Les leaders proposent aux peuples un idéal, un projet dont ils s’approprient, et les galvanisent dans leur élan créateur et transformateur de la réalité présente dans le sens de la concrétisation de l’idéal. Que pourraient apporter des alliances, des copinages et des combines, excluant l’adhésion des Congolais, entre deux ou un plus grand nombre de leaders dans la résolution des problèmes vitaux des Congolais ?

Pour ce qui est de nos partis politiques, sans exception aucune, ils ont une structure autoritaire ou féodale, suivant le grille d’analyse de Max Weber. Dans de telles structures, les chefs sont des chefs nés, dépositaires du don d’être chefs. Le fonctionnement de la structure est lié à la personnalité de son chef. Chaque sous structure (fédération régionale ou communale par exemple) repose sur le même principe, mais les chefs nés des sous structures doivent prendre modèle sur le dirigeant de l’ensemble. L’exemplarité est un principe de base dans de telles structures au point que pour avoir des chances d’être promu et apprécié, l’identification à la personnalité du dirigeant est le meilleur chemin. Il n’y a pas de place pour une différence trop marquée d’avec le modèle qu’est le chef ni pour quelque velléité d’opinion contraire ou de positionnement oppositionnel par rapport à la ligne de pensée du chef et à sa personne. Dès le recrutement, les caractéristiques les plus favorables, en ce qui concerne le choix des collaborateurs de haut niveau, seront celles qui ressemblent aux caractéristiques du chef; pour les autres, des caractéristiques de soumission, de respect voire d’admiration pour la personne du chef sont primordiales.

Dans ce système, l’appréciation est portée par la personne du chef et les critères sont liés aux concepts de qualités, de facultés. On parlera d’aptitude au commandement, de loyauté, de forte personnalité. Les jugements sont presque toujours sans appel et sont rarement communiqués à l’intéressé qui n’en connaîtra souvent que les effets.

La mise en concurrence, la compétition y est également très importante; on parlera d’émulation mais cette dernière sera assez combative, voire stratégique, dans la mesure où elle n’opposera entre eux que des responsables de même rang, le dirigeant de l’ensemble de la structure se situant hors de portée de l’action de tout compétiteur, des concurrents, au dessus de la mêlée.

Pour changer les choses, il nous faut nous atteler à la restructuration de nos appareils politiques dans le sens d’un schéma double : bureaucratique et démocratique.

Bureaucratique, cette ligne d’action concerne la division du travail qui est un problème de la répartition efficace des activités entre les individus et les unités ou départements de l’organisation, ce, dans la mesure où les tâches sont programmées. La bureaucratie est une structure organisée de façon rationnelle et formelle de manière que des activités clairement définies s’enchaînent en des séries d’actions contribuant conjointement au résultat final qu’est la réalisation des objectifs de l’organisation. La bureaucratie vise clairement la prévisibilité des comportements des membres et de leurs réactions réciproques. Peu importe la personne qui occupe une fonction donnée, seule la capacité de tenir efficacement son rôle, conformément aux règles de l’organisation qui l’emploie compte vraiment. En se souciant peu de la personne qui remplit un rôle donné, pourvu que son comportement obéisse aux normes, la bureaucratie rend tous les citoyens interchangeables devant toute fonction d’intérêt général. Dès lors, qui s’étonnera que le comptable du MCDDI soit Kuyu, le chargé de la communication de l’UPADS M’bochi et la personne responsable du département défense et sécurité du PCT Bémbé ?

Il nous faut nous atteler à la restructuration de nos appareils politiques


La démocratie, oui car une fois séparées les fonctions techniques des fonctions politiques au sein de nos partis politiques, les secondes seront pourvues par les membres desdites formations politiques par le procédé électif faisant largement intervenir l’examen des états de service au pays et au parti, des bilans de compétence professionnelle et de considérations éthiques. Pour les uns et pour les autres, l’obligation de résultats, l’efficacité de l’action sera le seul critère d’affirmation et reconduction dans la fonction. Alors seulement, verrons-nous émerger, au sein de nos formations politiques et bientôt au niveau des fonctions gouvernementales, des Congolais méritants, compétents et efficaces, aujourd’hui étouffés par l’organisation féodale des partis.

Cela n’est possible que si, écartant l’aveuglement de certains « politologues » qui voient dans le renforcement de la dictature militaire de Sassou par des leaders politiques rentrant d’exil un acte de « paix et de réconciliation », nous nous investissions sans plus attendre dans la démocratisation de nos formations politiques, de façon à nous constituer en un front uni contre la dictature militaire en place dans notre pays. Ceux qui applaudissent aveuglement ou cyniquement à la formation ou à la reconstitution des coteries venant renforcer la dictature de Sassou applaudissent ainsi la prolongation du supplice du peuple congolais par cette dictature atroce. Ils se réjouissent ainsi de cette manœuvre dilatoire, qu’est le renforcement du régime d’exception de Sassou, par ceux qui s’en font coopter, de retour d’exil, devant la perspective inexorable du procès pour génocide de certains pans de la population congolaise; d’autres atteintes aux droits de la personne humaine notamment économiques, sociaux et culturels par la même dictature qu’incarne le potentat de M’pila. Ces personnes qui viennent collaborer avec le régime dictatorial de Brazzaville voudraient (en vain) voir se perpétrer le règne de l’impunité dans notre pays.

Quant à la politique nécrophage de Sassou et ses acolytes depuis plusieurs décennies au Congo, il me semble que ce soit depuis les années 1968 que l’armée joue dans ce pays un rôle néfaste, constituant un facteur qui joue à l’encontre du développement politique et économique du pays. En théorie, l’armée a pour principale fonction de défendre les frontières nationales, prête à faire la guerre à un éventuel agresseur extérieur. Ayant oublié cette mission, l’armée congolaise a développé une agressivité interne plutôt qu’externe, en se donnant comme objectif de remplacer au pouvoir les civils, après avoir dissout ou suspendu les institutions démocratiques et instauré des « actes fondamentaux » comme récemment en 1997. Depuis 1968, l’armée congolaise accomplit cette basse besogne d’une manière caricaturale en faisant succéder des coups d’État aux coups d’État, avec leurs lots de destructions humaines et matérielles, et un gâchis exceptionnel de ressources de toutes sortes.

Front uni contre la dictature militaire


Pourquoi attribuer à Sassou et ses acolytes seuls cette politique nécrophage de l’armée congolaise? Ma réponse est que, si en 1968 l’armée dans son ensemble porte le commandant Marien N’gouabi à la magistrature suprême sur l’idée qu’elle est un corps de professions d’où sont bannis le tribalisme et le régionalisme et qu’en conséquence, les dividendes de cet acte seront équitablement répartis entre tous les militaires, aussitôt le pouvoir d’État acquis, un petit groupe d’officiers, natifs du nord, mettent en place une politique d’extermination froide et systématique d’officiers et hommes de rang du sud qui osent poser de questions sur leur volonté manifeste d’hégémonie sur l’ensemble de l’appareil militaire. Les coups d’État que ces criminels inventent ou les purges qui suivent ceux qu’ils déjouent réellement participent d’un plan d’élimination physique systématique des militaires du sud et quelques-uns de leurs rares alliés du nord susceptibles de mettre en cause, retarder ou simplement critiquer ce plan diabolique d’instrumentalisation de l’appareil militaire à des fins politiques. La politisation de l’armée permet à ces hommes de parachever le contrôle de l’armée en soumettant les gradés du sud au contrôle des non gradés du nord investis de mandats politiques, en application de cette politique d’hégémonie.

Tous ceux qui, depuis lors aux nord majoritairement, arborent les insignes de général dans cette armée ne le doivent qu’à l’assassinat lâche de nos compatriotes qui ont osé se révolter contre l’écrasement d’une majorité par une poignée d’hommes. Aucun de ces généraux (que certains qualifient de généraux de pacotille) n’a participé à une guerre contre un ennemi extérieur. Parmi les victimes de cette politique, on compte le brave Ikoko, natif du nord qui refuse de renoncer à ses convictions pour racheter sa vie auprès des siens et préfère mourir avec ses frères d’armes du sud dont il a mesuré la justesse du Combat. Le commandant Marien N’gouabi est cette autre illustre victime du nord. Le rouleau compresseur qu’il a contribué à fabriquer le broie parce qu’il prend conscience, mais en retard, du caractère infernal de la machine à tuer qu’est l’armée congolaise sous domination ethnique et régionale qu’il aurait voulu corriger.

De 1968 à 1977 cette armée repose sur le socle Kuyu-M’bochi, à partir de l’éviction du Comité militaire du parti (CMP) en 1978, le piédestal de cette armée devient M’bochi-Téké et depuis le retour sanglant de Sassou aux affaires en 1997, cette armée s’est progressivement ramenée à Sassou et son clan, autrement dit à une poignée de M’bochi des alentours d’Oyo et Ollombo. Finalement, le grand orfèvre en la matière, l’homme, Sassou N’guesso, fait pour tuer en devient l’ultime bénéficiaire.

Le devoir de mémoire et la volonté de paix et de réconciliation passeront nécessairement par le procès des auteurs de ce plan diabolique d’extermination des Congolais du sud formés aux métiers d’ armes, le procès des auteurs du génocide perpétré en 1997-1998, le procès des auteurs du massacre des 353 réfugiés, au débarcadère du port fluvial de Brazzaville, de retour d’exil du Congo démocratique sur appel du régime de Sassou, et le procès des auteurs de tous les autres forfaits recensés pendant la conférence nationale souveraine de 1991.

La responsabilité civique étant individuelle, cette nécessité de dire le droit ne concerne pas le nord du Congo (comme certains seraient tentés de le dire pour s’attirer la solidarité régionale ou tribale, reproduisant ainsi un schéma qui leur est devenu familier) puisque parmi les acolytes du dictateur Sassou N’guesso on dénombre des natifs du sud, mais des individus qui ont chacun une identité précise et ayant agi en tant que tel.

Pour asseoir un système politique stable et prévisible, honnête et efficace suscitant et encourageant la participation libre des citoyens au progrès économique, consentant à des investissements sociaux, en termes de dépenses d’éducation et de santé, nous, Congolaises et Congolais devons détruire la dictature de Sassou et non la renforcer de par des alliances susceptibles de lui donner un sursis et ainsi prolonger la souffrance de nos compatriotes.

Jean-Pierre Loundoubi

Ndlr - Les intertitres sont de " Mwinda ".
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