Paix, mémoire, pouvoir (suite)
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Vendredi 27 janvier, 7h30
Un point de vue qui fait suite à l’article " Paix,
mémoire, pouvoir " d’Erutan Kimbembe. Il est inspiré par l’analyse
des rapports entre la paix et les rapprochements ou éloignements de
certains membres de la classe politique de notre pays, tels qu’ils
se font aujourd’hui.
Par Jean-Pierre
Loundoubi
L'article d’Erutan Kimbembe,
à mon humble avis, pose des questions
fondamentales : quelles sont les conditions, notamment politiques et
économiques, d’une paix sociale durable au Congo ? À quels indices
devrions-nous identifier les membres de la classe politique
congolaise acquis à l’idée de paix et travaillant réellement et
sincèrement pour que notre pays la retrouve ? Suffit-il d’intégrer
l’un des groupes prébendiers actuellement mis en place au Congo par
Sassou, sous inspiration de la mafia internationale, ou l’une des
nombreuses coteries ancrées dans la famille du souverain de M’pila
pour recevoir (de qui et de quel droit ?) le précieux titre d’apôtre
de la paix ?
À présent que s’annonce la fin des dinosaures
politiques comme Lissouba, Kolélas, Yhombi …, nous Congolais,
devrions-nous nous démener pour placer de nouveaux épouvantails à la
tête de nos formations politiques ou au contraire, profiter de cette
occasion pour les moderniser en en démocratisant le fonctionnement
pour que y émergent de managers compétents, respectueux de
l’_expression_ démocratique des adhérents et de l’ensemble des
citoyens Congolais, ayant en tête l’idée d’efficacité dans
l’atteinte des objectifs assignés, le sentiment du mérite, du devoir
et de responsabilité ? Quelle devrait être l’attitude des personnes
instruites et des cadres, au sein de nos formations politiques
respectives, face aux choix stratégiques de nos leaders en cette
période charnière ? Arrêtons ici la liste des axes de réflexion que
suscite cet article et revenons-en au plus près du contenu
explicite.
À présent que s’annonce la fin des
dinosaures politiques
Je suis toujours interloqué
par le génie de Sassou et ses acolytes à toujours dévoyer et
galvauder des concepts. Hier, ils ont tourné en dérision le concept
de révolution socialiste scientifique, de plan en y introduisant
l’idée floue de « plan glissant » aujourd’hui, ceux de démocratie et
de paix. Que veulent dire démocratie et paix dans un système
politique où un seul a droit de vie et de mort sur chacun et sur
tous, qui paupérise à l’extrême et clochardise les populations et
les fonctionnaires de l’État, exproprient les citoyens, à
Brazzaville et Pointe-Noire, de leurs terrains à bâtir et pour
certains, de leurs biens immobiliers ? Comment parler de démocratie
et de paix en rapport à un système qui terrorise les populations par
les troupes angolaises, tchadiennes et zimbabwéennes d’occupation du
Congo, les mercenaires de tous bords et les miliciens cobras
extrêmement fanatisés ? Quand un système politique fait du pillage,
du viol, du racket, de l’intimidation et de l’assassinat de
paisibles citoyens congolais des procédés de gouvernement, comment
parler de démocratie et de paix ? Dans un système où les
infrastructures de communication physique, de santé et d’éducation
ne sont pas la préoccupation des gouvernants obsédés par
l’enrichissement personnel, peut-on sérieusement parler de
démocratie et de paix ?
Décidément, Sassou a l’art de la
métonymie lui permettant chaque fois de désigner des réalités
sociales et politiques par leurs contraires : l’insécurité et la
peur par la quiétude et la sécurité, la guerre, ouverte ou larvée,
par la paix et la dictature par la démocratie. Quel monstre !
Je ne reviens pas sur la nécessité d’un devoir de mémoire en
face des drames à répétition que vit notre peuple depuis plusieurs
décennies, du fait de l’irresponsabilité de certains membres de la
classe politique congolaise ni sur celle de combattre la mauvaise
gouvernance, l’arbitraire, le non droit, l’impunité des dirigeants
politiques auteurs de fautes graves, et l’anomie comme techniques de
gouvernement chez Sassou. Je prolonge plutôt notre interpellation, à
nous tous Congolaises et Congolais, par la gravité de la situation
du moment, en insistant sur deux aspects qui appellent instamment
notre attention et notre action : la situation de nos partis
politiques et le rôle de l’armée dans notre pays.
Ce ne sont pas les leaders, si
charismatiques fussent-ils, qui font
l’histoire
Introduisons notre propos sur les
formations politiques congolaises par une remarque plutôt liée aux
leaders politiques : ce ne sont pas les leaders, si charismatiques
fussent-ils, qui font l’histoire, mais les peuples. Les leaders
proposent aux peuples un idéal, un projet dont ils s’approprient, et
les galvanisent dans leur élan créateur et transformateur de la
réalité présente dans le sens de la concrétisation de l’idéal. Que
pourraient apporter des alliances, des copinages et des combines,
excluant l’adhésion des Congolais, entre deux ou un plus grand
nombre de leaders dans la résolution des problèmes vitaux des
Congolais ?
Pour ce qui est de nos partis politiques, sans
exception aucune, ils ont une structure autoritaire ou féodale,
suivant le grille d’analyse de Max Weber. Dans de telles structures,
les chefs sont des chefs nés, dépositaires du don d’être chefs. Le
fonctionnement de la structure est lié à la personnalité de son
chef. Chaque sous structure (fédération régionale ou communale par
exemple) repose sur le même principe, mais les chefs nés des sous
structures doivent prendre modèle sur le dirigeant de l’ensemble.
L’exemplarité est un principe de base dans de telles structures au
point que pour avoir des chances d’être promu et apprécié,
l’identification à la personnalité du dirigeant est le meilleur
chemin. Il n’y a pas de place pour une différence trop marquée
d’avec le modèle qu’est le chef ni pour quelque velléité d’opinion
contraire ou de positionnement oppositionnel par rapport à la ligne
de pensée du chef et à sa personne. Dès le recrutement, les
caractéristiques les plus favorables, en ce qui concerne le choix
des collaborateurs de haut niveau, seront celles qui ressemblent aux
caractéristiques du chef; pour les autres, des caractéristiques de
soumission, de respect voire d’admiration pour la personne du chef
sont primordiales.
Dans ce système, l’appréciation est
portée par la personne du chef et les critères sont liés aux
concepts de qualités, de facultés. On parlera d’aptitude au
commandement, de loyauté, de forte personnalité. Les jugements sont
presque toujours sans appel et sont rarement communiqués à
l’intéressé qui n’en connaîtra souvent que les effets.
La
mise en concurrence, la compétition y est également très importante;
on parlera d’émulation mais cette dernière sera assez combative,
voire stratégique, dans la mesure où elle n’opposera entre eux que
des responsables de même rang, le dirigeant de l’ensemble de la
structure se situant hors de portée de l’action de tout compétiteur,
des concurrents, au dessus de la mêlée.
Pour changer les
choses, il nous faut nous atteler à la restructuration de nos
appareils politiques dans le sens d’un schéma double :
bureaucratique et démocratique.
Bureaucratique, cette ligne
d’action concerne la division du travail qui est un problème de la
répartition efficace des activités entre les individus et les unités
ou départements de l’organisation, ce, dans la mesure où les tâches
sont programmées. La bureaucratie est une structure organisée de
façon rationnelle et formelle de manière que des activités
clairement définies s’enchaînent en des séries d’actions contribuant
conjointement au résultat final qu’est la réalisation des objectifs
de l’organisation. La bureaucratie vise clairement la prévisibilité
des comportements des membres et de leurs réactions réciproques. Peu
importe la personne qui occupe une fonction donnée, seule la
capacité de tenir efficacement son rôle, conformément aux règles de
l’organisation qui l’emploie compte vraiment. En se souciant peu de
la personne qui remplit un rôle donné, pourvu que son comportement
obéisse aux normes, la bureaucratie rend tous les citoyens
interchangeables devant toute fonction d’intérêt général. Dès lors,
qui s’étonnera que le comptable du MCDDI soit Kuyu, le chargé de la
communication de l’UPADS M’bochi et la personne responsable du
département défense et sécurité du PCT Bémbé ?
Il nous faut nous atteler à la
restructuration de nos appareils politiques
La
démocratie, oui car une fois séparées les fonctions techniques des
fonctions politiques au sein de nos partis politiques, les secondes
seront pourvues par les membres desdites formations politiques par
le procédé électif faisant largement intervenir l’examen des états
de service au pays et au parti, des bilans de compétence
professionnelle et de considérations éthiques. Pour les uns et pour
les autres, l’obligation de résultats, l’efficacité de l’action sera
le seul critère d’affirmation et reconduction dans la fonction.
Alors seulement, verrons-nous émerger, au sein de nos formations
politiques et bientôt au niveau des fonctions gouvernementales, des
Congolais méritants, compétents et efficaces, aujourd’hui étouffés
par l’organisation féodale des partis.
Cela n’est possible
que si, écartant l’aveuglement de certains « politologues » qui
voient dans le renforcement de la dictature militaire de Sassou par
des leaders politiques rentrant d’exil un acte de « paix et de
réconciliation », nous nous investissions sans plus attendre dans la
démocratisation de nos formations politiques, de façon à nous
constituer en un front uni contre la dictature militaire en place
dans notre pays. Ceux qui applaudissent aveuglement ou cyniquement à
la formation ou à la reconstitution des coteries venant renforcer la
dictature de Sassou applaudissent ainsi la prolongation du supplice
du peuple congolais par cette dictature atroce. Ils se réjouissent
ainsi de cette manœuvre dilatoire, qu’est le renforcement du régime
d’exception de Sassou, par ceux qui s’en font coopter, de retour
d’exil, devant la perspective inexorable du procès pour génocide de
certains pans de la population congolaise; d’autres atteintes aux
droits de la personne humaine notamment économiques, sociaux et
culturels par la même dictature qu’incarne le potentat de M’pila.
Ces personnes qui viennent collaborer avec le régime dictatorial de
Brazzaville voudraient (en vain) voir se perpétrer le règne de
l’impunité dans notre pays.
Quant à la politique nécrophage
de Sassou et ses acolytes depuis plusieurs décennies au Congo, il me
semble que ce soit depuis les années 1968 que l’armée joue dans ce
pays un rôle néfaste, constituant un facteur qui joue à l’encontre
du développement politique et économique du pays. En théorie,
l’armée a pour principale fonction de défendre les frontières
nationales, prête à faire la guerre à un éventuel agresseur
extérieur. Ayant oublié cette mission, l’armée congolaise a
développé une agressivité interne plutôt qu’externe, en se donnant
comme objectif de remplacer au pouvoir les civils, après avoir
dissout ou suspendu les institutions démocratiques et instauré des «
actes fondamentaux » comme récemment en 1997. Depuis 1968, l’armée
congolaise accomplit cette basse besogne d’une manière caricaturale
en faisant succéder des coups d’État aux coups d’État, avec leurs
lots de destructions humaines et matérielles, et un gâchis
exceptionnel de ressources de toutes sortes.
Front uni contre la dictature
militaire
Pourquoi attribuer à Sassou et ses
acolytes seuls cette politique nécrophage de l’armée congolaise? Ma
réponse est que, si en 1968 l’armée dans son ensemble porte le
commandant Marien N’gouabi à la magistrature suprême sur l’idée
qu’elle est un corps de professions d’où sont bannis le tribalisme
et le régionalisme et qu’en conséquence, les dividendes de cet acte
seront équitablement répartis entre tous les militaires, aussitôt le
pouvoir d’État acquis, un petit groupe d’officiers, natifs du nord,
mettent en place une politique d’extermination froide et
systématique d’officiers et hommes de rang du sud qui osent poser de
questions sur leur volonté manifeste d’hégémonie sur l’ensemble de
l’appareil militaire. Les coups d’État que ces criminels inventent
ou les purges qui suivent ceux qu’ils déjouent réellement
participent d’un plan d’élimination physique systématique des
militaires du sud et quelques-uns de leurs rares alliés du nord
susceptibles de mettre en cause, retarder ou simplement critiquer ce
plan diabolique d’instrumentalisation de l’appareil militaire à des
fins politiques. La politisation de l’armée permet à ces hommes de
parachever le contrôle de l’armée en soumettant les gradés du sud au
contrôle des non gradés du nord investis de mandats politiques, en
application de cette politique d’hégémonie.
Tous ceux qui,
depuis lors aux nord majoritairement, arborent les insignes de
général dans cette armée ne le doivent qu’à l’assassinat lâche de
nos compatriotes qui ont osé se révolter contre l’écrasement d’une
majorité par une poignée d’hommes. Aucun de ces généraux (que
certains qualifient de généraux de pacotille) n’a participé à une
guerre contre un ennemi extérieur. Parmi les victimes de cette
politique, on compte le brave Ikoko, natif du nord qui refuse de
renoncer à ses convictions pour racheter sa vie auprès des siens et
préfère mourir avec ses frères d’armes du sud dont il a mesuré la
justesse du Combat. Le commandant Marien N’gouabi est cette autre
illustre victime du nord. Le rouleau compresseur qu’il a contribué à
fabriquer le broie parce qu’il prend conscience, mais en retard, du
caractère infernal de la machine à tuer qu’est l’armée congolaise
sous domination ethnique et régionale qu’il aurait voulu
corriger.
De 1968 à 1977 cette armée repose sur le socle
Kuyu-M’bochi, à partir de l’éviction du Comité militaire du parti
(CMP) en 1978, le piédestal de cette armée devient M’bochi-Téké et
depuis le retour sanglant de Sassou aux affaires en 1997, cette
armée s’est progressivement ramenée à Sassou et son clan, autrement
dit à une poignée de M’bochi des alentours d’Oyo et Ollombo.
Finalement, le grand orfèvre en la matière, l’homme, Sassou
N’guesso, fait pour tuer en devient l’ultime bénéficiaire.
Le devoir de mémoire et la volonté de paix et de
réconciliation passeront nécessairement par le procès des auteurs de
ce plan diabolique d’extermination des Congolais du sud formés aux
métiers d’ armes, le procès des auteurs du génocide perpétré en
1997-1998, le procès des auteurs du massacre des 353 réfugiés, au
débarcadère du port fluvial de Brazzaville, de retour d’exil du
Congo démocratique sur appel du régime de Sassou, et le procès des
auteurs de tous les autres forfaits recensés pendant la conférence
nationale souveraine de 1991.
La responsabilité civique
étant individuelle, cette nécessité de dire le droit ne concerne pas
le nord du Congo (comme certains seraient tentés de le dire pour
s’attirer la solidarité régionale ou tribale, reproduisant ainsi un
schéma qui leur est devenu familier) puisque parmi les acolytes du
dictateur Sassou N’guesso on dénombre des natifs du sud, mais des
individus qui ont chacun une identité précise et ayant agi en tant
que tel.
Pour asseoir un système politique stable et
prévisible, honnête et efficace suscitant et encourageant la
participation libre des citoyens au progrès économique, consentant à
des investissements sociaux, en termes de dépenses d’éducation et de
santé, nous, Congolaises et Congolais devons détruire la dictature
de Sassou et non la renforcer de par des alliances susceptibles de
lui donner un sursis et ainsi prolonger la souffrance de nos
compatriotes.
Jean-Pierre Loundoubi
Ndlr
- Les intertitres sont de " Mwinda ". | |
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