Chirac est responsable de la situation en Côte
d?Ivoire"
par Guy Millière (Professeur à l?Université Paris VII)
Il est philosophe, économiste, professeur d'histoire
des idées, et connaît bien l'Afrique et la politique
chiraquienne en Afrique.
Peu de temps après la chute de l?URSS, lors de la
brève phase de "démocratisation", j?ai travaillé en
Afrique subsaharienne. J?ai, entre autres, fait
plusieurs séjours au Congo-Brazzaville. Le pays
sortait exsangue de plusieurs années de dictature, de
pillage, de contrats léonins, tels ceux liant le pays
à la société Elf, qui pouvait acheter le pétrole à des
prix très inférieur à ceux des marchés mondiaux.
Le Président élu a décidé de revoir les contrats
pétroliers et de placer Elf en situation de
concurrence. Ce qui eût été jugé ailleurs décision
légitime d?un gouvernement souverain fut considéré,
là, comme un acte d?insubordination intolérable, et
déboucha sur un coup d?État qui remit en place
l?ancien dictateur et permit à Elf de retrouver tous
ces privilèges.
Dois-je le dire ? Chirac était déjà à l?Élysée à
l?époque... Je suis libéral, défenseur du droit des
hommes et de la liberté d?entreprendre.
La France à l?époque a violé ces principes qui me sont
chers, agi au mépris complet des populations locales
et de leurs intérêts, foulé aux pieds les intérêts des
Français installés alors au Congo.
Je ne peux m?empêcher, en observant ce que je vois se
passer depuis des mois en Côte d?Ivoire, de me dire
que j?assiste à une nouvelle version du même scénario.
Lors des élections de 2002, après une période trouble
qui a vu Konan Bédié remplacer Houphouet-Boigny, puis
se trouver remplacé lui-même par une junte militaire
commandée par Robert Gueï, une nouvelle constitution a
été adoptée, des élections ont eu lieu où, pour la
première fois, plusieurs courants ont pu se présenter,
Laurent Gbagbo, socialiste, devint premier Président
démocratiquement élu du pays. Mamadou Koulibaly,
économiste libéral devint, lui, Président de
l?Assemblée nationale.
La notion d?"ivoirité", en place depuis Konan Bédié,
est aujourd?hui présentée comme une notion "raciste"
et placée au centre des griefs : elle correspond en
fait à la volonté des Ivoiriens de naissance
d?endiguer une immigration massive venue des pays
musulmans du Nord, qui risque de submerger l?identité
nationale. Elle n?a pas posé de problème aux
commentateurs jusqu?à ce qu?une autre question
surgisse : les dirigeants élus du pays ont voulu,
après l?élection, revoir des contrats anciens liant la
Côte d?Ivoire à des entreprises françaises ; comme par
hasard, quelques semaines plus tard, des putschistes
armés par la Libye et on ne sait qui (mais on s?en
doute) sont descendus du Burkina Faso pour tenter de
prendre le pouvoir par la force à Abidjan. Les
putschistes ont échoué, ont été repoussés au Nord par
l?armée ivoirienne et des mercenaires appelés en
renfort.
La France n?a pas soutenu le Président élu
Prenant au mot les accords de défense en place, le
gouvernement ivoirien a demandé l?aide de la France,
qui s?est "interposée", a évacué les Français du Nord
du pays, sous occupation depuis, et a exigé à
Marcoussis que le gouvernement intègre des putschistes
en son sein. Le cynisme néo-colonial aurait voulu que
la France remplace les dirigeants élus par des
putschistes à sa solde, mais c?eût été trop "voyant".
Une attitude respectueuse du droit aurait voulu que le
pays retrouve son intégrité territoriale et que la
France appuie les dirigeants élus : elle ne l?a pas
fait, espérant obtenir par la pression ce qu?elle n?a
pu obtenir par le putsch. Au bout de deux ans d?un
statu quo destructeur pour le pays, les dirigeants
élus du pays ont voulu libérer le Nord. La France a
mis des entraves. Une bavure militaire, qui aurait dû
faire l?objet d?une enquête, lui a servi de prétexte
pour détruire sans attendre le potentiel militaire
ivoirien, des émeutes ont suivi au cours desquelles
l?armée française a tiré dans la foule. Les émeutes se
sont aggravées, et le rejet du néo-colonialisme
français a débouché sur des exactions envers la
communauté française. Je ne sais ce que sera l?issue.
Ce que je sais est que si le gouvernement français
avait respecté les décisions des dirigeants élus de
Côte d?Ivoire, si la France n?avait paru favoriser les
putschistes, et si elle avait respecté les accords de
défense, nous n?en serions pas là. Le peuple ivoirien
n?a rien contre les Français : il a des griefs
légitimes contre une politique sans scrupules qui est
celle de Chirac. Chirac est responsable de la mort de
soldats français et de la situation globale en Côte
d?Ivoire. Le voir traiter les dirigeants ivoiriens de
"fascistes" après avoir aidé des putschistes et avant
de rendre visite à Khadafi serait risible, si ce
n?était à ce point sinistre.
Par Guy Millière MGuymilliere@aol.com
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