Mamadou Koulibaly raconte Abuja, dissèque l?embargo et
parle de la crise : ?Le Président Henri Konan Bédié a
été floué?
Mamadou Koulibaly a jeté un regard sur l?actualité
avec, notamment, la dernière résolution de l?ONU sur
la Côte d?Ivoire. Nous vous livrons l?intégralité de
cet entretien.
Radio Côte d'Ivoire : Vous étiez à Abuja (Nigeria)
pour représenter la Côte d'Ivoire au sommet de l'Union
africaine sur la Côte d'Ivoire. Que s'est-il
réellement passé à Abuja, monsieur le Président ?
Mamadou Koulibaly : Je crois qu'il y a eu malentendu
et quiproquo parce que moi j'ai été envoyé à Abuja par
le chef de l'État pour aller expliquer à cette réunion
informelle de quelques chefs d'État africains quelle
était la situation réelle en Côte d'Ivoire. Et
qu'est-ce qu'il attendait, lui, de ses pairs. A ce
titre, je suis arrivé, le président Obasanjo a
présenté l'ordre du jour. Il a dit qu'il sera question
au cours de cette réunion d'examiner trois ou quatre
points.
Le premier, c'est la présentation de la situation
actuelle en Côte d'Ivoire. Il a dit qu'il a été
sélectionné un certain nombre de responsables
africains pour ?cette réunion exclusivement
consultative?.
Le deuxième point, c'est l'examen du rapport fait par
le président sud-africain Thabo M'Beki.
Le troisième point a concerné le type de décision
qu'il faudra prendre au sujet de la Côte d'Ivoire et
le quatrième point, les divers, si les uns et les
autres ont des choses à ajouter.
Pour commencer, la parole m'a été donnée pour décrire
la situation effective du pays. Alors, j'ai présenté
une note du chef de l'État, qui disait en substance
trois choses : la première, c'était de décrire
l'agression violente, armée et toutes les violations
des droits par les forces françaises en Côte d'Ivoire.
J'ai expliqué comment il y a eu violation de la
souveraineté territoriale de la Côte d'Ivoire,
violation des droits humains, violation des droits
patrimoniaux et les atteintes à l'image de la Côte
d'Ivoire en tant qu'État de droit. Et que ces
violations ont été le fait du gouvernement français.
A la suite de mon exposé, j'ai transmis la note aux
chefs d'État présents. A savoir, les présidents Bongo,
Compaoré, Kufor, Eyadéma, Obasanjo et Wade. On notait
aussi la présence de M. Tréki, représentant du
président Kadhafi, de Alpha Oumar Konaré, en tant que
président de la Commission de l'Union africaine et de
M. Ibn Chambas, en tant que Secrétaire exécutif de la
CEDEAO. Je leur ai dit que le président Gbagbo, face à
cette agression, attendait d'eux, qu'ils puissent
condamner les actes posés par l'armée et les soldats
français en Côte d'Ivoire sur instruction du chef de
l'État français. Je leur ai demandé au nom de notre
chef de l'État, que les chefs d'État africains, au nom
des institutions qu'ils représentaient à cette
réunion, puissent agir pour mettre en place et
participer activement à l'organisation de cette
commission d'enquête internationale demandée par le
président Laurent Gbagbo pour comprendre ce qui s'est
passé à Bouaké, à Yamoussoukro et ailleurs en Côte
d'Ivoire, à Abidjan à l'aéroport. Et qu'avant toutes
sanctions, il fallait que les Africains et le monde
entier comprennent d'abord ce qui s'est passé ;
quelles ont été les responsabilités avant tout.
Ensuite, le Président m'a chargé de leur dire que la
force Licorne a agi, selon les propos du général
Poncet, exclusivement sur instructions du président
Chirac lui-même. En aucun moment, il n'a été question
d'instructions reçues des Nations unies. De ce fait,
la force Licorne qui dit agir en Côte d'Ivoire sous
mandat onusien avait outrepassé ses droits. Elle est
sortie de son mandat. Le président Laurent Gbagbo
demandait donc à ses pairs de tout mettre en ?uvre
pour que la force Licorne agisse exclusivement sous
mandat onusien sinon alors, ce serait difficile de
comprendre que le Président Eyadéma ne donne pas des
instructions aux forces togolaises de l'ONUCI, que le
Président Wade ne commande pas directement les forces
sénégalaises de l'ONUCI et ainsi de suite, le Maroc,
le Niger et le reste.
Face à ces trois points que j'ai soulevés en plus du
premier qui faisait le constat de la situation, j'ai
reçu un avis de non recevoir des chefs d'État. Ils
m'ont expliqué que ?attention M. Koulibaly, nous ici,
nous ne représentons aucune instance compétente pour
condamner qui que ce soit. Pour décider de participer
à quelques commissions d'enquête que ce soit. Encore
moins pour nous ingérer dans les affaires intérieures
de la Côte d'Ivoire. Nous ici, nous ne sommes qu'un
groupe consultatif. Nous sommes là juste pour étudier,
écouter, et c'est tout. Alors ne comptez pas sur nous,
pour condamner qui que ce soit. Vous vous êtes trompés
complètement de cadre juridique. Ce n'est pas ici
qu'il faut poser ces questions. Vous voulez une
commission d'enquête ? Mais nous ne sommes pas
habilités à organiser cela. Vous voulez régler les
problèmes militaires avec la France ? Mais vous avez
un accord de coopération avec la France. Et c'est au
nom de cet accord militaire que vous avez demandé aux
soldats français de venir vous aider. Si vous avez des
problèmes avec eux, mais adressez-vous à la France ou
ailleurs. Mais ce n'est pas ici?.
Bon, à la suite de quoi, il y a eu quelques questions
: ?Depuis Accra est-ce que Gbagbo a fait vraiment
évoluer le processus ? Pourquoi vous n'avez pas
désarmé vos milices et puis vous voulez que les
rebelles désarment ? Et puis en pleine réunion, un
coup de théâtre : c'est un chef d'État qui dit :
?Voilà, voilà ! Nous sommes ici en train de les aider,
et puis voilà, ils ont repris le bombardement de
Bouaké. Ah ! il faut aller immédiatement à l'embargo.
Ce n'est pas possible??
R.C.I. : C'est quel chef d'État qui disait cela ?
M.K. : Non ! je préfère ne pas donner de nom à ce
stade puisqu'il s'agissait d'une réunion de chefs
d'État. Je rends compte globalement. Mais un chef
d'État africain qui participait à cette réunion a dit
qu'on était en train de bombarder Bouaké pendant que
la réunion d'Abuja se tenait.
R.C.I. : Alors qu'on n?avait plus d'avion pour
bombarder Bouaké?
M.K. : Quelque temps après, lorsqu'ils ont fini cela,
ils m'ont dit M. Koulibaly, nous allons nous retrouver
et parler entre nous, si vous voulez bien vous retirer
un moment, nous vous rappellerons tout à l'heure pour
vous entendre si c'était nécessaire. Donc moi, je suis
sorti et j'ai rejoint une suite de l'autre côté avec
la délégation ivoirienne. Nous nous sommes mis à
travailler et à échanger. Quand beaucoup plus tard,
quelqu'un est venu me dire : ?Ah ! monsieur le
Président, les chefs d'État sont sortis pour aller
déjeuner de l'autre côté?. J'ai dit tiens, ils ne
m'ont pas informé. Je vais aller voir s'ils ont besoin
de moi. Puisque la réunion concerne la Côte d'Ivoire
et qu'elle est justifiée parce que la situation en
Côte d'Ivoire l'impose. Et que j'y suis pour
représenter le chef de l'Etat ivoirien. Donc il faut
que je sois présent, proche au cas où on aurait besoin
de quelqu'un de Côte d'Ivoire. Alors je suis allé vers
leur lieu de déjeuner et à l'entrée quelqu'un du
protocole m'a expliqué ?qu'ici, c'est juste pour les
chefs d'État?. J'ai dit d'accord, ils n'ont vraiment
pas besoin de moi pour le moment. Je retourne dans ma
suite et j'attends. Et puis beaucoup plus tard,
quelqu'un du protocole vient me dire : ?M. Koulibaly,
les chefs d'État vous demandent de l'autre côté,
là-bas?. Cette fois j'y vais et je les trouve en
pleine conférence de presse qui avait déjà commencé.
Le président Obasanjo exposait. Alors on me donne un
siège, je m'installe et j'attends la fin de la
conférence de presse. Mais avant la fin, paf ! un
autre coup de théâtre. Un autre chef d'État interrompt
et dit : ?Voilà ce qu'on nous disait. Pendant qu'on
est là en train d'échanger, Gbagbo vient de couper
l'eau et l'électricité dans le Nord de la Côte
d'Ivoire. Ça veut dire qu'il va encore bombarder cette
nuit. C'est comme ça qu'il avait fait la dernière
fois. Il va bombarder cette nuit. Je vous dis que
cette histoire-là, il faut qu'on aille rapidement aux
sanctions et à l'embargo?.
Les journalistes qui étaient là posent la question de
savoir avec quels avions ? ?Ah ! nous on ne sait pas?.
Un autre journaliste pose la question de savoir :
?Thabo Mbéki, a suggéré que les troupes françaises
s'en aillent de la Côte d'Ivoire. Qu'est-ce que vous
en pensez ?? Leur réponse : ?Ah ! On n?a pas ça dans
le rapport de Thabo Mbéki?. Effectivement, il n'y
avait pas cela dans le rapport de Thabo Mbéki. Parce
que le rapport que le président sud-africain a envoyé
ne concerne pas la totalité de la mission qui lui a
été demandée. Thabo Mbéki a juste consulté le
président Gbagbo le 9 novembre dernier quand il est
venu ici. Et à son retour, il a fait parvenir au
président Obasanjo, le Président en exercice de
l'union africaine, un rapport sur ce que Gbagbo et
lui, s'étaient dit. Mais Mbéki a continué ses
consultations puisqu'il a reçu les membres du G7 dans
son pays. Le rapport qu'il a fait après cette réunion
n'était pas encore parvenu à Abuja. Thabo Mbéki a fait
parvenir au chef de l'Etat ivoirien, un questionnaire
sur différents points pour avoir des précisions.
Questionnaire qui a été traité par les services de
l'Etat ivoirien et expédié à Thabo Mbéki la veille de
la réunion d'Abuja vers 23 heures-minuit. Et le
lendemain matin, nous sommes partis à Abuja. Bien
évidemment, Abuja ne pouvait pas avoir le rapport
complet de Thabo M'Béki.
En outre, il n'y était pas et la réunion s'est
déroulée comme ça. Une réunion informelle des chefs
d'État qui dit qu'elle n'a pas le droit et n?est pas
compétent pour demander une commission d'enquête mais
quand même qui aboutit à exiger un embargo
?immédiatement?. D'ailleurs, nous sommes allés plus
loin que ce que proposait les Français. Eux, ils
proposaient, conformément aux statuts et à la charte
des Nations unies, un délai avant la mise en
application pour savoir comment la situation évolue.
Les chefs d'État qui étaient à Abuja qui disaient se
réunir en leurs propres noms ont demandé que les
sanctions soient mises en application ?immédiatement?.
Alors que la réunion ne correspondait à aucune
instance de l'Union africaine ou de la CEDEAO. Elle
dit n'être compétente en rien. Mais pourtant, dès
qu'elle a sorti son communiqué final, dont la
préparation a été faite sans la participation d?aucun
membre de la délégation ivoirienne, toute la presse
internationale l?a repris. Elle a même repris certains
chefs d'État en disant: ?Oui, l'Union africaine vient
de décider?. Alors qu'au commencement ils ont dit que
ce n'était pas l'Union africaine, que c'était
informel, que c'était consultatif et qu'ils n'avaient
compétence en rien.
R.C.I. : Président, comme la France le souhaitait, le
Conseil de sécurité de l'ONU vient de décider d'un
embargo contre notre pays. Que doit-on entendre par
ces sanctions et quel est le contenu véritable de cet
embargo ?
M.K. : Moi, je pense que ces sanctions donnent un
signal fort et un très bon signal au peuple de Côte
d'Ivoire. Nous sommes entrés dans le club des grands.
Nous sommes entrés dans le club des pays que l'on va
de plus en plus respecter dans le monde. Parce que
simplement dans la sous-région nous avons les plus
grands commerçants d'armes. Il y a le général Ibrahima
Baldé qui vit à Ouagadougou et qui est spécialiste de
la naissance de toutes les rébellions depuis la Sierra
Leone jusqu'en Mauritanie. Il y a le Président du Faso
lui-même qui est un spécialiste du commerce des armes.
Il y a le président Charles Taylor qui était un grand
spécialiste. Ceux-là ont distribué d'innombrables
quantités d'armes dans la sous-région.
Les Nations-unies viennent dire qu'un embargo sur les
armes est imposé à la Côte d'Ivoire. C'est une bonne
chose. Parce que ça signifie que nous avons déjà eu à
détruire les stocks d'armes et de munitions de la
rébellion ivoirienne. Et qu'il n'est plus question que
l'on puisse voir un quelconque pays leur fournir
quelques armes et munitions que ce soit. J'espère que
nous faisons la même lecture de l'embargo. Cela
signifie que l'Etat ivoirien qui, dans tous les cas,
n'a plus les moyens de s'acheter les armes et n'avait
même plus l'intention d'en acheter (d'autant plus que
pour l'Etat ivoirien, la guerre contre les rebelles,
c'est terminé), il suffit sur la base de cet embargo
que les populations civiles de Côte d'Ivoire, les
préfets, les sous-préfets, les déplacés de guerre,
remontent maintenant vers leurs lieux d'origine.
Ainsi, qu'ils recommencent à réorganiser leur vie, à
s'installer sous la surveillance, le contrôle et
l'autorité des forces des Nations unies. Cet embargo
signifie que si M. Mamadou Koulibaly vivant à Sakassou
et dont la maison a été pillée et arrachée par des
rebelles revenait à Sakassou, il est de son droit de
retourner dans cette maison et dire à l'occupant :
?Monsieur vous pouvez partir, je reprends ma maison?.
Si le monsieur refuse, c'est aux casques bleus de lui
dire : ?ça suffit comme ça. La guerre est terminée.
L'arme que vous avez, vous ne devez plus l'avoir. Si
vous voulez, vous retournez au village. Vous ne savez
pas comment aller au village ? Voilà, tenez le
transport, vous n'avez pas de village ? Bon allez vous
cantonner dans tel endroit et attendez?.
La guerre en Côte d'Ivoire, de mon point de vue, elle
se termine avec cet embargo. Si les rebelles ne
peuvent plus recevoir d'armes, si les FANCI sont là où
elles sont, il y a de bonnes raisons d'espérer.
Par contre, les volets qui concernent les sanctions
contre certaines autorités ou certains responsables
politiques qui s'opposeraient à l'application des
accords de Marcoussis (gel des comptes à l'étranger,
interdiction de voyager) sont des sanctions farfelues.
Parce que si Mamadou Koulibaly s'oppose aux accords de
Marcoussis, s'il dit explicitement ?je ne suis pas
d'accord?, si on lui dit donc vous ne voyagez plus,
qu'est-ce que ça peut faire à Mamadou Koulibaly de ne
pas sortir de la Côte d'Ivoire. Le fait que Mamadou
Koulibaly ne voyage pas, ne signifie pas que la Côte
d'Ivoire ne voyage pas. Il y a bien d'autres Ivoiriens
officiels en très grand nombre au nom desquels Mamadou
a parlé et qui peuvent voyager. Avec le téléphone, le
fax, le mail, je peux rester chez moi à la maison et
communiquer avec le monde entier. Que moi je n'y aille
pas, qu'un vice-président de l'Assemblée nationale ou
bien n'importe quel quidam que je mets en mission le
fasse, ça change quoi ? Cette clause est totalement
farfelue. La clause du blocage des comptes de Mamadou
Koulibaly en France, ce n'est pas catastrophique. Si
j'étais un commerçant, qui devait payer ses
fournisseurs, qui devait retourner de l'argent à ses
clients, qui devait passer des commandes, le gel de
mes comptes aurait été une catastrophe. Mais pour un
fonctionnaire, un homme politique en plus qui n'a pas
des milliards sur son compte, le bloquer signifie
simplement qu'au lieu d'acheter un livre sur internet,
au lieu de faire une réservation d'hôtel par carte de
crédit, puisque je ne voyage plus, si des copains s'en
vont en France, en Allemagne ou aux États-Unis, je
leur remets du cash à Abidjan pour qu'ils m'achètent
les livres qu'il me faut, les pièces d'ordinateurs
qu'il me faut. C'est donc une clause totalement
farfelue. Pour ça, il n'y a aucune inquiétude. Le
volet important de mon point de vue, c'est qu'à partir
de maintenant, nous pouvons déployer nos préfets, nos
sous-préfets pour que les déplacés de guerre
retrouvent leurs villages. A mon avis, la guerre est
terminée et il faut passer à une autre phase.
R.C.I. : Il n'y aura plus d'armes pour les menacer?
M.K. : Si des armes se présentent en menace contre ces
populations, c'est à l'ONU d'assurer le désarmement.
Avec cet embargo, elle a pris l'engagement d'assurer
la sécurité de tout le monde.
R.C.I. : Président, nous allons parler des FANCI. Au
cours de cette crise aiguë, il y a eu d'important
mouvement à la tête des FANCI qui ont changé notamment
de chef d'État-major. A quel besoin répond ce
réaménagement selon vous ?
M.K. : Oui, oui, j'ai entendu beaucoup de
contre-vérités là-dessus. Dans la suite logique de la
guerre et dans le sens de la fin de cette guerre, la
nomination du colonel Mangou comme chef d'État-major
signifie simplement pour le chef de l'Etat que le
soldat à qui la guerre avait été confié, le chef du
théâtre des opérations celui qui était sur le front
avec ses hommes pour les affecter, les organiser, les
instruire pour qu'ils fassent une très bonne guerre,
c'est celui-là qui est appelé à Abidjan pour qu'il
reste dans un bureau. Ça signifie que le président
Gbagbo a décidé de ne plus faire la guerre. Sinon, il
aurait maintenu le chef de guerre sur le front et il
aurait maintenu la pression sur le front. Mais, il se
trouve que tout le monde disait ?Gbagbo va reprendre
la guerre?, ?Gbagbo veut faire la guerre encore?. Pour
mettre fin à toutes ces supputations, il fait venir le
chef de guerre à l'Etat-major dans un bureau, la
guerre est terminée. Je ne vois pas pourquoi aller
interpréter cela comme ce que j'ai entendu: ?C'est
l'aile dure ; les va-t-en guerre qui ont pris le
pouvoir?, c'est exactement le contraire qu'il faut
penser. Si Gbagbo voulait que la guerre continue, il
aurait maintenu le chef de la guerre sur le front. Le
faire venir à Abidjan, signifie qu'il donne un signal
que c'est terminé. Nous arrêtons et allons à la
réunification du pays et aux élections de 2005.
R.C.I. : Monsieur le président Koulibaly après tout ce
qui s'est passé quelle pourrait être la suite de la
situation ?
M.K. : Je pense qu'il y a pour la suite, deux types
d'attitude. Dans l'immédiat, c'est le redéploiement de
notre administration et le retour des déplacés de
guerre avec la complicité des Nations unies. Pour ce
qui concerne l'agression dont on a été victime de la
part de la France, je pense qu'il nous faut étudier
progressivement différents scenarii.
Le premier, c'est de faire en sorte que les Français
qui ne sont pas partis, qui n'avaient aucune raison de
partir, ceux à qui on a dit qu'il fallait fuir tout de
suite mais qui sont restés, soient rassurés. Il
faudrait que nous arrivions à rassurer ces populations
françaises au sens large ; je pense à tous les
étrangers installés en Côte d'Ivoire. Que ces
étrangers soient des Africains ou des non-Africains.
Il faut que nous arrivions à leur parler.
Je pense d'ailleurs qu'ils comprennent tous la
situation. Ils ont tous suivi ce qui se passe en Côte
d'Ivoire depuis de longues années. Il faut qu'on
arrive à leur expliquer que le but du jeu, ce n'est
pas de faire la chasse aux étrangers. Le but du jeu,
c'est d'éviter qu'une gangrène s'installe en Côte
d'Ivoire. Qu'un pays essentiel de la sous-région tombe
dans le chaos et que nous puissions éviter ces
différents pièges et arriver à une situation
pacifique, stable, démocratique qui puisse permettre à
tout le monde de faire ses affaires en Côte d'Ivoire.
Je voudrais insister auprès de tous pour que nous
soyons vigilants contre les pillards. Parce que le
jour où le général Poncet a fait entrer à Abidjan près
de 160 chars de l'armée française en train de tourner
dans la capitale, perdus dit-il, à la recherche de
leur route (quand on leur dit d'aller à Abobo, ils
vont aux II-Plateaux. Quand on leur dit d'aller à
Yopougon, ils vont à Treichville) il y a eu à ce
moment-là deux catégories d'Ivoiriens qui se sont
dégagés. Certains se sont dit : ?Tiens, la France s'en
va faire un coup d'État à Gbagbo. Nous montons tout de
suite à Cocody pour défendre la République?. Ceux-là,
ce sont les patriotes. ?Nous allons tout de suite à
l'aéroport pour en découdre avec ces forces militaires
françaises, leur barrer le passage les mains nues?.
Ceux-là, ce sont les patriotes. Mais pendant que les
patriotes défendaient la République, d'autres gens,
libérés avec la complicité de ministres connus de la
prison, pillaient des villas, des cours, des magasins.
Il fallait que l'on évite le chaos à la Côte d'Ivoire.
Les lendemains ont montré que les services de défense
et de sécurité de Côte d'Ivoire pouvaient maîtriser
cette situation. Il aurait simplement fallu que le
général Poncet n'entre pas en chef de guerre,
intimidant notre gendarmerie, notre police, notre
armée, disant à tout le monde : ?Je maîtrise Abidjan,
restez chez vous? pour que ces pilleurs ne travaillent
pas. Il aurait fallu, s'il n'était pas venu pour faire
un coup d'État, qu'il travaille en intelligence avec
les forces de défense et de sécurité de Côte d'Ivoire.
La sécurité aurait été meilleure. Il n'y aurait pas eu
de pillages, de vols, d'exactions de toutes sortes.
Mais ceci étant, pour ce qui concerne maintenant les
relations entre la France et nous, je pense qu'il nous
faut réfléchir. A Abuja, moi, j'ai compris une chose ;
c'est que fatalement, les chefs d'État africains
disent qu'ils sont impuissants à nous aider. La France
que le président de la République avait invitée pour
nous donner un coup de main et qui a proclamé par la
voix de son ministre de la Défense à l'époque que les
accords de défense étaient caducs ne peut rien faire
pour nous. Mais nous, les Ivoiriens, amis de la Côte
d'Ivoire, toutes les personnes vivant en Côte
d'Ivoire, nous pouvons nous prendre en charge. Nous
pouvons décider pour nous-mêmes, si l'Etat français
commence par geler les comptes de certaines autorités
responsables sous le prétexte qu'elles peuvent ne pas
être d'accord avec les accords de Marcoussis.
Peut-être que la prochaine résolution irait jusqu'à
geler les comptes de l'Etat ivoirien.
Pour éviter tout cela, de mon point de vue, ce que je
dis n'est pas le point de vue de l'Etat ivoirien,
c'est celui de Mamadou Koulibaly, il nous faut prendre
des dispositions majeures, rapides pour sortir nos
avoirs extérieurs du trésor français et les placer
ailleurs sur le marché international ou même ici.
Cela signifie que nous pouvons, délibérément et
conformément au statut et aux textes, sortir du franc
CFA, sortir de la zone franc, sortir de la
Francophonie, sortir officiellement de ces accords de
défense, sortir de l'UEMOA. Rien ne nous oblige à y
rester. Nous le pouvons. Parce que ces organisations
nous y sommes parce qu'il s'agit d'organisations
d'entraide et de solidarité. Nous sommes les plus
grands des pays là-dedans. Nous contribuons le plus.
Nous avons accueilli sur notre sol, le plus grand
nombre de ressortissants de ces pays. Pendant près de
50 ans aucune difficulté. Aujourd'hui du fait des
intérêts de la France, nous nous retrouvons à nous
bagarrer entre nous. Les gens du Nord de la Côte
d'Ivoire ont pensé à une renaissance du Nord de la
Côte d'Ivoire. Certains même sont allés penser à El
Hadj Omar Tall ; à Soundjata Kéita. D'autres ont même
vu l'empire Manding renaître. Et puis au bout du
compte nos parents du Nord se rendent compte qu'il y
avait une seule chose qui comptait, c'était l'intérêt
de la France. Le Nord a été pillé, détruit, grugé,
violé. On a volé les banques centrales, les
plantations, les b?ufs pour l'intérêt de l'Etat
français vu par Chirac. Le Nord a perdu dans cette
histoire. Ceux qui croyaient que cette guerre se
faisait pour le compte du Nord, se sont trompés. Ils
ont le bec dans l'eau et ils doivent être pleins de
regrets aujourd'hui.
Je vais même plus loin. Regardons le cas du président
Henri Konan Bédié. Les Français ont appelé Bédié et
Ouattara et leur ont expliqué : ?Tant que vous qui
êtes de l?ancien régime serez indépendants, l'un de
l'autre, vous vous bagarrerez, nous à Paris nous ne
pouvons pas vous aider. Mais si vous vous mettez
ensemble, si vous vous soudez, nous sommes capables de
vous aider. Et quelque chose va se passer. Ils y ont
cru. Le président Bédié y a cru. Il est rentré dans le
jeu. Il a dîné, s?est promené avec Ouattara. Et puis,
ils ont fait déplacer tout leur état-major d?Abidjan
jusqu?à Paris pour aller expliquer aux uns et aux
autres que maintenant ça y est, la grande famille
houphouétiste renaît de ses cendres : ?Nous sommes des
frères. Oublions le passé. Nous allons organiser
quelque chose où Henri Konan Bédié sera le président
et Ouattara le second?. Je vous jure que le président
Bédié y a cru. Idriss Koudouss est allé jusqu?à
Daoukro pour expliquer à Bédié qu?ils sont derrière
lui. Je présume fort que le président Bédié a cru.
Mais lorsque le processus s?est déclenché, lorsque les
forces armées françaises ont commencé à organiser ce
qui devait être un putsch, ce n?est pas Bédié qu?ils
ont positionné près du fauteuil présidentiel. C?est
Ouattara qu?ils ont mis en position à Libreville pour
venir en faire un président. Bédié, à qui on avait
promis le fauteuil de chef de l?Etat, s?est retrouvé
floué. Et je pense qu?aujourd?hui, nous devons tous
réfléchir. Ivoiriens de tous bords. Quel que soit
notre parti politique. Quelles que soient nos
croyances religieuses. L?Afrique a trop souffert des
manipulations de certains pays colonisateurs qui
défendent leurs intérêts. Chaque fois que nous avons
échoué, ça a été par la faute de certains de nos fils.
Samory Touré a été trahi. Chaka Zulu a été trahi. Tous
ont été trahis les uns, les autres. Vous pouvez
repasser l?histoire de toute cette résistance
africaine. L?esclavage, pareil. C?est nous qui avons
pris nos frères pour les vendre aux Blancs. C?est nous
qui avons pris nos frères pour les vendre aux
esclavagistes.
Aujourd?hui, nous sommes dans un autre monde. Blanc,
Noir, Jaune, Rouge, nous sommes tous devenus frères
dans la mondialisation. Alors Africains, jouons le jeu
de cette mondialisation.
R.C.I. : Président, pour finir, quel discours
pouvez-vous tenir aux Ivoiriens pour les rassurer
devant tout ce qui peut troubler que nous avons
entendu ?
M.K. : Il faut que les Ivoiriens restent sereins. De
mon point de vue, ce qui vient d?arriver devrait
renforcer notre croyance en notre pays. Si on avait
même gelé les avoir de tous les Ivoiriens, nous
n?aurions plus qu?à consommer local. Si les autorités,
au lieu d?aller déposer l?argent dans les comptes
bancaires à l?étranger, mettaient cet argent ici, il
servirait d?épargne et d?investissement. Chaque fois
que des pays ont eu des sanctions de ce genre, ils se
sont repliés sur leur propre énergie. Ils se sont
investis pour aller chercher au plus profond
d?eux-mêmes les ressources nécessaires pour rebondir
et chaque fois, ils ont rebondi.
Regardez le Japon de l?après-guerre mondiale. Regardez
l?Allemagne de l?après-guerre mondiale. Regardez
l?Afrique du Sud de l?après-apartheid. Profitons-en.
C?est une chance pour nous. Réunifions notre pays. Ne
cassons rien du tout de quoique ce soit. Laissons les
hommes d?affaires faire leurs affaires, les hommes
politiques faire leur politique. Arrêtons avec les
situations belliqueuses de guerre. Nous ne nous
entretuons que pour quelques flibustiers autour de
Jacques Chirac. Ça ne peut pas durer. Ça ne peut plus
durer.
Propos retranscrit par Coulibaly Zié Oumar
=====
"A Black Belt is a White Belt who never quit"
Aikido.
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