Blaise. Compaoré à "La Croix"
Je veux la réconciliation avec la Côte d'Ivoire
Dans un entretien à la "Croix", le président du Burkina Faso, Blaise
Compaoré, souligne sa volonté d'apaiser les tensions avec son voisin
ivoirien et trouve normale l'aide militaire française à la Côte
d'Ivoire
Sidwaya (S.) : Pensez-vous que la réunion des quinze chefs
d'Etat d'Afrique de l'Ouest à Accra a été positive pour la Côte
d'Ivoire et le Burkina Faso ?
Blaise Compaoré (B.C.) : Tout à fait. En me donnant l'accolade, le président
ivoirien Laurent Gbagbo m'a dit en riant : "Chez nous, tu es le
suspect idéal". Et je lui ai répondu en riant : "Chez moi, tu es quoi
à ton avis ?". Il n'a pas répondu. Mais il a fait remarquer devant
tous les chefs d'Etat qu'il n'avait jamais accusé le Burkina Faso.
En revanche, il a souligné que parmi les assaillants, il y avait des
anciens de l'armée et des déserteurs ivoiriens qui ont séjourné au
Burkina". Je lui ai répondu : "ce n'est un secret pour personne !". Je
lui ai même rappelé l'avoir informé, lors de sa visite officielle à
Ouagadougou, qu'une dizaines d'entre eux étaient au Burkina. Lui-même,
ai-je rappelé devant tous nos frères africains, m'avait dit alors :
"ils cherchent quoi ? ". Je lui ai répondu à l'époque : "Ils ont
simplement peur pour leur vie". A ce moment-là, le président Gbagbo
m'avait dit : "ils peuvent rentrer en Côte d'Ivoire. Il n'y a aucun
problème !". Vous voyez combien notre discussion a été directe.
S. : Mais n'y a-t-il pas un réel contentieux entre la Côte d'Ivoire et
le Burkina ?
B.C. : Dès qu'il se passe quelque chose en Côte d'Ivoire, c'est vrai,
c'est tout de suite "la faute des Burkinabè". Cela remonte à notre
histoire commune, à la colonisation, au fait que jusqu'en 1947, la
Côte d'Ivoire et le Burkina Faso étaient un même pays. Ensuite, il y a
eu la création de deux pays. Mais il y a au moins trois millions de
Burkinabè qui, à cause de ce passé, sont des paysans en Côte d'Ivoire
et y ont des terres ! Dès que la production de café baisse, on accuse
encore les paysans burkinabè d'avoir mal fait les récoltes, etc. Se
greffe là-dessus le problème d'Alassane Ouattara, aujourd'hui réfugié
à l'ambassade de France à Abidjan. On l'accuse d'être
aussi... Burkinabè. Tout est prétexte en fait pour accuser les
Burkinabè. Le problème de l"ivoirité" a ajouté à la complexité de nos
relations avec la Côte d'Ivoire? Nous, nous n'avons jamais voulu
polémiquer avec la Côte d'Ivoire. C'est inutile et dangereux !
S. : Voulez-vous la réconciliation ?
B.C. : Oui, nous voulons la réconciliation. Il vaut mieux travailler à
arrêter le conflit. Il faut absolument envers et contre nous, tenter
d'amorcer le dialogue que ce soit entre la Côte d'Ivoire et le Burkina
- une chose faite - mais aussi entre les mutins et le pouvoir
ivoirien. Pour moi le dialogue, c'est toujours mieux que
l'interposition d'une force de paix ! A la réunion d'Accra, tous les
chefs d'Etat africains sont tombés d'accord sur ce point. Pour les
mutins, il faut donc que les autorités ivoiriennes se penchent
attentivement sur les demandes corporatistes, notamment celle d'une
réintégration dans l'armée. Un point important. La balle de la paix
est maintenant dans le camp du président Gbagbo.
S. : Que pensez-vous de l'attitude de la France qui apporte un appui
logistique à la Côte d'Ivoire ?
B.C. : Je trouve l'attitude de la France tout à fait normale !
Beaucoup de pays africains, tel le Burkina Faso, ont des accords de
coopération militaire avec la France. Nous aussi, dans le cadre de
cette coopération, nous avons reçu des équipements, du matériel de
transmission, des transports. C'est une coopération classique,
habituelle. Cela ne veut pas dire pour autant que la France
s'implique. Elle reste attentive. Il ne faut pas oublier qu'il y a en
Côte d'Ivoire plus de 20 000 ressortissants français.
On ne peut pas lui demander de prendre en charge le conflit ! Mais
elle des atouts : lors de l'évacuation des ressortissants français à
Bouaké, les militaires français ont eu des contacts avec les
mutins. Ils les connaissent. La France peut donc aider à une médiation
entre les mutins et le pouvoir à Abidjan. C'est un atout important.
Recueilli par Julla FICATIER
La Croix du 1/10/2002
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